Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sombre
contenance des gardes annonçait qu’ils se regardaient plutôt comme l’objet du
triomphe que comme associés aux honneurs de leurs souverains. Dès qu’ils furent
tous assemblés dans leur camp, ceux qui avaient combattu pour Maximin, et ceux
qui n’étaient point sortis de la capitale, se communiquèrent réciproquement
leurs sujets de plainte et leurs alarmes. Les empereurs choisis par l’armée
avaient subi une mort ignominieuse ; des citoyens que le sénat avait revêtus de
la pourpre, étaient assis sur le trône [613] .
Les sanglants démêlés qui existaient depuis si longtemps entre les puissances
civile et militaire, venaient d’être terminés par une guerre dans laquelle
l’autorité civile avait remporté une victoire complète. Il ne restait plus aux
soldats qu’à adopter de nouvelles maximes, et à se soumettre au sénat ;
et, malgré la clémence dont se parait cette compagnie politique, ils devaient
redouter les funestes effets d’une vengeance lente, colorée du nom de
discipline, et justifiée par de spécieux prétextes de bien public. Mais leur
destinée était toujours entre leurs mains et, s’ils avaient assez de courage
pour mépriser les vaines menaces d’une république impuissante, ils pouvaient
convaincre l’univers que ceux qui tiennent les armes disposent de l’autorité de
l’État.
Le sénat, en partageant la couronne, semblait n’avoir eu
d’autre intention que de donner à l’empire deux chefs capables de le gouverner
dans la guerre et dans-la paix. Outre ce motif spécieux, il est probable que
cette assemblée fut encore guidée par le désir secret d’affaiblir, en le
divisant, le despotisme du magistrat suprême. Sa politique lui réussit ;
mais elle lui devint fatale, et entraîna la perte des souverains. Bientôt la
jalousie du pouvoir fut irritée par la différence de caractère. Maxime
méprisait Balbin, comme un noble livré aux plaisirs ; et celui-ci dédaignait
son collègue, comme un soldat obscur. Cependant jusque-là leur mésintelligence
était plutôt soupçonnée qu’aperçue [614] .
Leurs dispositions réciproques les empêchèrent d’agir avec vigueur contre les
prétoriens, leurs ennemis communs. Un jour que toute la ville assistait aux
jeux capitolins, les empereurs étaient restés presque seuls dans leur palais,
où ils occupaient déjà des appartement très éloignés l’un de l’autre. Tout à
coup ils prennent l’alarme à l’approche d’une troupe d’assassins furieux :
chacun, ignorant la situation ou les desseins de son collègue, tremble de
donner ou de recevoir des secours, et ils perdent ainsi des moments précieux en
frivoles débats et en récriminations inutiles. L’arrivée des gardes met fin à
ces vaines disputes : ils se saisissent des empereurs du sénat, nom qu’ils leur
donnaient par dérision [15 juillet 238] . Ils les dépouillent de leurs
vêtements, et les traînent en triomphe dans les rues de Rome, avec le projet de
leur faire subir fine mort lente et cruelle. La crainte que les fidèles
Germains de la garde impériale ne vinssent les arracher de leurs mains,
abrégea, les tourments de ces malheureux princes, dont les corps percés de
mille coups furent exposés aux insultes ou à la compassion de la populace [615] .
Dans l’espace de peu de mois, l’épée avait tranché les jours
de six princes. Gordien, déjà revêtu du titre de César, parût aux prétoriens
le seul propre à remplir le trône vacant [616] .
Ils l’emmenèrent au camp, et le saluèrent unanimement Auguste et empereur. Son
nom était cher au sénat et au peuple : sa tendre jeunesse promettait à la
licence des troupes une longue impunité. Enfin, le consentement de Rome et des
provinces épargnait à la république, quoiqu’aux dépens de sa dignité et de sa
liberté, les horreurs d’une nouvelle guerre civile dans le centre de la
capitale [617] .
Comme le troisième Gordien mourut à l’âge de dix-neuf ans,
l’histoire de sa vie, si elle nous était parvenue avec plus d’exactitude, ne
renfermerait guère que les détails de son éducation et de la conduite des
ministres qui trompèrent ou guidèrent tour à tour la simplicité d’un jeune
prince sans expérience. Immédiatement après son élévation, il tomba entre les
mains des eunuques de sa mère, ces vils instruments du luxe asiatique, et qui,
depuis la mort d’Élagabale, infestaient le palais des empereurs romains. Ces
malheureux, par leurs
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