Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
traces d’une origine obscure. On a placé dans la Pannonie [832] , dans la Gaule,
dans le nord de la Germanie [833] ,
l’origine de cette fameuse colonie de guerriers. Enfin les critiques les plus
sensés, rejetant les fausses migrations de conquérants imaginaires, ont
embrassé une opinion qui, par sa simplicité même, nous paraît être la seule
vraie [834] .
Selon leurs savantes conjectures, les anciens habitants du Weser et du Bas-Rhin
se réunirent vers l’an 240 [835] ,
et formèrent une nouvelle confédération sous le nom de Francs. Le cercle de
Westphalie, la landgraviat de Hesse, les duchés de Brunswick, et de Lunebourg,
étaient autrefois la patrie des Chauques, qui, dans leurs marais inaccessibles,
défiaient les armes romaines [836] ,
des Chérusques, fiers du nom d’Arminius, des Caltes, redoutables par la force
et par l’intrépidité de leur infanterie, et de plusieurs autres tribus [837] moins puissantes
et moins célèbres [Tacite, Germ. , 30, 37] . L’amour de la liberté
était la passion dominante de ces Germains ; la jouissance de cette
liberté, leur plus précieux trésor ; et le mot qui désignait cette
jouissance, l’expression la plus agréable à leur oreille. Ils méritaient, ils
prirent, ils conservèrent la dénomination de Francs ou hommes libres : titre
honorable qui cachait, mais qui ne détruisait pas les noms particuliers des
différents peuples de la confédération [838] .
Un consentement tacite, et un avantage réciproque dictèrent les premières lois
de l’union ; l’expérience et l’habitude la cimentèrent par degrés. La ligue des
Francs pourrait être en quelque sorte comparée avec le corps helvétique, où
chaque canton, retenant sa souveraineté indépendante, concourt avec les autres,
dans la cause commune, sans reconnaître de chef suprême ni d’assemblée
représentative [839] .
Mais le principe des deux confédérations est extrêmement différent : une
paix de deux cents ans a compensé la politique sage et vertueuse des Suisses.
L’inconstance, la soif du pillage et la violation des traités les plus
solennels, ont déshonoré le caractère des Francs.
Depuis longtemps les Romains éprouvaient la valeur
entreprenante des habitants de la Basse Germanie ; tout à coup les forces
réunies de ces Barbares menacèrent la Gaule d’une invasion plus formidable, et
exigèrent la présence de Gallien, l’héritier et le collègue de l’empereur [Zozime,
I] . Tandis que ce prince et Salonin, son fils, encore enfant, déployaient
dans la cour de Trèves toute la majesté du trône, les armées se signalèrent
sous le commandement de Posthume. Quoique cet habile général trahît par la
suite la famille de Valérien, il fut toujours fidèle à la cause importante de
la monarchie. Le langage perfide des panégyriques et des médailles parle obscurément
d’une longue suite de victoires ; des titres, des trophées attestent, si
l’on peut ajouter foi à un pareil témoignage, la réputation de Posthume, qui
est souvent appelé le vainqueur des Germains et le libérateur de la Gaule [840] .
Mais un simple fait, le seul à la vérité dont nous ayons une
connaissance certaine, renverse en grande partie ces monuments de la vanité et
de l’adulation. Le Rhin, quoique décoré du titre de sauvegarde des provinces,
fut une bien faible barrière contre l’esprit de conquête qui animait les
Francs. Leurs dévastations rapides s’étendirent depuis ce fleuve jusqu’au pied
des Pyrénées. Ils franchirent bientôt ces hautes montagnes que la nature
semblait leur opposer. L’Espagne n’avait jamais redouté les incursions des
Germains ; elle fut incapable de leur résister. Pendant douze ans, la
plus grande partie du règne de Gallien, cette contrée opulente devint le
théâtre des hostilités destructives auxquelles se livraient des ennemis inégaux
en force. Tarragone, capitale florissante d’une province tranquille, fut
saccagée et presque détruite [841] ;
et du temps d’Orose, qui écrivait dans le cinquième siècle, de misérables
cabanes, éparses au milieu des ruines d’un grand nombre de villes magnifiques,
rappelaient encore la rage des Barbares [842] .
Lorsque le pays épuisé n’offrit plus aucune espèce de butin, les Francs
s’emparèrent de quelques vaisseaux dans les ports d’Espagne [843] , et passèrent en
Mauritanie. Quel dut être, à la vue de ces peuples féroces, l’étonnement d’une
région si éloignée ?
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