Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dédaignaient de garder des fortifications
qu’elles jugeaient imprenables. Les Goths ne tardèrent pas à découvrir
l’extrême négligence des assiégés : aussitôt ils préparent un grand amas de
fascines, escaladent les murs dans le silence de la nuit, et parcourent la
ville l’épée à la main. Les malheureux habitants périrent sous la fer du
vainqueur, tandis que leurs lâches défenseurs se sauvèrent par les portes
opposées à l’attaque. Les temples les plus sacrés et les plus beaux édifices
furent enveloppés dans une destruction commune. Les Goths se trouvèrent en
possession d’un butin immense. Les contrées voisines avaient déposé leurs
trésors dans Trébisonde comme dans un lieu de sûreté. Les superbes dépouilles
de cette ville remplirent une grande flotte qui mouillait alors dans son port.
Les Barbares, libres de dévaster toute la province du Pont [867] , emmenèrent avec
eux une quantité prodigieuse de captifs ; ils enchaînèrent aux rames de
leurs vaisseaux les plus robustes d’entre ces malheureuses victimes ;
enfin, fiers du succès de leur première expédition navale ils retournèrent en
triomphe dans leurs nouveaux établissements du royaume du Bosphore [Zozime,
I] .
Lorsque les Goths se mirent une seconde fois en mer, ils
rassemblèrent des forces plus considérables en hommes et en bâtiments ;
mais ils prirent une route tout à fait différente ; et, dédaignant les
provinces épuisées du Pont, ils suivirent la côte occidentale de la mer Noire,
passèrent devant les bouches du Borysthène, du Niester et du Danube, prirent
dans leurs courses un grand nombre de bateaux de pécheurs, et s’approchèrent du
canal resserré où le Pont-Euxin verse ses eaux dans la Méditerranée, et sépare
l’Europe de l’Asie. La garnison de Chalcédoine campait alors près du temple de
Jupiter Urius, sur un promontoire qui commandait l’entrée du détroit. Ce petit
corps de troupes était supérieur aux Barbares, tant leurs invasions répondaient
à l’effroi qu’elles inspiraient. Mais c’était en nombre seulement que les
Romains surpassaient l’ennemi ; ils abandonnèrent avec précipitation un
poste avantageux, et livrèrent à la discrétion des Goths la ville de
Chalcédoine, abondamment fournie d’armes et d’argent. Les conquérants, prêts à
se transporter par mer ou par terre dans les provinces intérieures de l’empire,
menaçaient à la fois l’Europe et l’Asie. Tandis qu’ils balançaient sur la route
qu’ils devaient prendre, Nicomédie [868] ,
éloignée seulement de soixante milles du camp de Chalcédoine [869] leur fut montrée
comme une conquête facile. Incapable de soutenir un siège, cette ancienne
capitale des rois de Bithynie renfermait de grandes richesses. Un perfide
transfuge, conduisit la marche, dirigea les attaques, et partagea le butin ;
car les Goths avaient appris assez de politique pour récompenser le traître
qu’ils détestaient. Nicée, Pruse, Apamée, Cios [870] , villes qui,
rivales de Nicomédie, en avaient quelquefois imité la splendeur, eurent le même
sort et bientôt toute la Bithynie éprouva les plus cruelles calamités. Depuis
longtemps les faibles habitants, de l’Asie ne connaissaient plus l’usage des
armes : trois cents ans de paix avaient éloigné toute idée de danger. Les
anciennes murailles tombaient en ruines, et les revenus des cités les plus
opulentes servaient à la construction des bains, des temples et des théâtres [Zozime,
I] .
Lorsque Cyzique résista aux efforts de Mithridate [871] , on y voyait
trois arsenaux remplis de blé, d’armes et de machines de guerre [Strabon,
XII] ; deux cents galères défendaient son port, et des lois sages
veillaient à sa conservation. Cette place n’avait rien perdu de son état
florissant ; mais il ne lui restait de son ancienne force qu’une situation
avantageuse dans une petite île de la Propontide, qui tenait par deux ponts
seulement au continent de L’Asie. Après avoir saccagé Pruse, les Goths
s’avancèrent à dix-huit milles [872] de Cyzique, avec l’intention de la détruire. Un heureux accident retarda la
ruine de cette ville. La saison était pluvieuse, et les eaux du lac
Apolloniates, réservoir de toutes les sources du mont Olympe, s’élevèrent à une
hauteur extraordinaire. La petite rivière de Rhindacus, qui en sort, devint
tout à coup un torrent large et rapide, qui arrêta, les progrès des Goths. Ils
avaient probablement
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