Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
qu’elle n’a jamais
existé que dans l’imagination d’un sophiste. Lorsque les Goths saccagèrent
Athènes, ils rassemblèrent, dit-on, toutes les bibliothèques de cette ville, et
se disposèrent à livrer aux flammes tant de dépôts précieux des connaissances
humaines. Ce qui les sauva du feu, ce fut cette opinion semée par un de leurs
chefs, qu’il fallait laisser aux Grecs des meubles si propres à les détourner
de l’exercice des armes, et à les amuser à des occupations oisives et
sédentaires [885] .
En admettant la vérité du fait, l’habile conseiller, quoique d’une politique
plus raffinée que ses compatriotes, raisonnait comme un Barbare ignorant. Chez
les nations, les plus puissantes et les plus civilisées, le génie s’est développé
presque en même temps dans tous les genres, et le siècle des arts a
généralement été le siècle de la gloire et de la vertu militaire.
IV . Les nouveaux souverains de la Perse, Artaxerxés
et son fils Sapor, avaient triomphé, comme nous avons déjà vu, de la maison
d’Arsace. Parmi tant de princes de cette ancienne famille, Chosroes, roi
d’Arménie, avait seul conservé sa vie et son indépendance. La force naturelle
de son pays, le secours des déserteurs et des mécontents qui se rendaient
perpétuellement à sa cour, l’alliance des Romains, et, par-dessus tout, son
propre courage, le rendirent invincible. Après s’être défendu avec succès
durant une guerre de trente ans, il fut assassiné par les émissaires de Sapor,
roi de Perse. Les satrapes d’Arménie, qui, fidèles à l’État, voulaient en
assurer la gloire et la liberté, implorèrent la protection des Romains en
faveur de Tiridate, l’héritier légitime de la couronne. Mais, le fils de
Chosroes sortait à peine de la plus tendre enfance, les alliés étaient éloignés,
et le monarque persan s’avançait vers la frontière à la tête d’une armée
formidable. Un serviteur zélé sauva le jeune Tiridate qui devait être la
ressource de sa patrie. L’Arménie, devenue province d’un grand royaume, demeura
pendant plus de vingt-sept ans sous le joug des Perses [886] . Ébloui par
l’éclat d’une conquête facile et comptant sur la faiblesse ou sur les malheurs
des Romains, Sapor obligea les fortes garnisons de Carrhes et de Nisibis à
évacuer ces places, et il répandit la terreur et la désolation le long des
rives de l’Euphrate.
La perte d’une frontière importante, la ruine d’un allié
naturel et fidèle, et les succès rapides de l’ambitieux Sapor, remplirent Rome
d’indignation pour l’insulte faite à sa grandeur, et de crainte sur le danger
qui la menaçait. Valérien, persuadé que la vigilance de ses lieutenants
suffisait pour garder le Rhin et le Danube, résolut, malgré son âge avancé, de
marcher en personne à la défense de l’Euphrate. Son passage dans l’Asie-Mineure
suspendit les entreprises navales des Goths, et fit jouir cette province
infortunée d’un calme passager et trompeur. L’empereur traversa l’Euphrate,
rencontra les Perses près des murs d’Édesse, fût vaincu et fait prisonnier par
Sapor. Les particularités de ce grand événement nous sont représentées d’une
manière obscure et imparfaite : cependant, éclairés par une faible lueur, nous
sommes en état d’apercevoir du côté de l’empereur romain une longue suite
d’imprudences, de fautes et de malheurs mérités. Il se confiait aveuglément en
Macrien, son préfet du prétoire [887] .
Cet indigne ministre rendit son maître l’effroi des sujets opprimés, et le
mépris des ennemis de Rome [Zozime, I] . Conduite par les conseils
faibles ou perfides de Macrien, l’armée impériale se trouva dans une situation
où la valeur et la science militaire devenaient également inutiles [ Hist.
Aug. , p. 174] . En vain les Romains firent-ils les plus grands efforts
pour s’ouvrir un chemin à travers l’armée persane ; ils furent repoussés avec
une perte considérable [888] .
Sapor, dont les troupes supérieures en nombre tenaient assiégé le camp de
l’ennemi, attendit patiemment que les horreurs de la peste et de la famine
eussent assuré sa victoire. Bientôt les légions murmurèrent hautement contre
Valérien, et lui imputèrent les maux qu’elles éprouvaient ; leurs clameurs
séditieuses demandaient une prompte capitulation. On offrait aux Perses des
sommes immenses pour acheter la permission de faire une retraite
honteuse : mais Sapor, sûr
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