Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
part à cette rétribution, ne s’éleva pas au-dessus de celui des hommes
de quarante à soixante-dix ans, qui la recevaient dans des temps antérieurs [925] . Ce fait
authentique, en y appliquant les meilleures tables de mortalité, prouve évidemment
qu’Alexandrie avait perdu plus de la moitié de ses habitants. Si nous osions
étendre l’analogie aux autres provinces, nous pourrions soupçonner que la
guerre, la peste et la famine avaient emporté en peu d’années la moitié de
l’espèce humaine [926] .
Chapitre XI
Règne de Claude. Défaite des Goths. Victoires, triomphe et mort d’Aurélien.
SOUS les règnes, déplorables de Valérien et de Gallien,
l’empire avait été opprimé et presque détruit par les tyrans, les soldats et
les Barbares. Il fut sauvé par une suite de princes, qui tiraient leur obscure
origine des provinces martiales de l’Illyrie. Durant un espace de trente ans
environ, Claude, Aurélien, Probus, Dioclétien et ses collègues triomphèrent des
ennemis étrangers et domestiques de l’État, rétablirent, avec la discipline, la
force des frontières et méritèrent le titre glorieux de restaurateurs de
l’univers romain.
Un tyran efféminé fit place, à une succession de héros. Le
peuple indigné contre Gallien lui imputait tous ses malheurs ; et réellement
ils tiraient, pour la plupart, leur source des mœurs dissolues et de
l’administration indolente de ce prince. Il n’avait pas même ces sentiments
d’honneur qui suppléent si souvent au manque de vertu publique, et tant que la
possession de l’Italie ne lui fut pas disputée, une victoire remportée par les
Barbares, la perte d’une province, ou la rébellion d’un général, troubla
rarement le cours paisible de sa vie voluptueuse. Enfin une armée considérable [an
268] , campée sur le Haut Danube, donna la pourpre impériale à son chef
Auréole, qui, dédaignant les montagnes de la Rhétie, province stérile et
resserrée, passa les Alpes, s’empara de Milan, menaça Rome et somma Gallien de
venir sur le champ de bataille disputer la souveraineté de l’Italie.
L’empereur, irrité de l’insulte et alarmé à la vue d’un danger si pressant,
développa tout à coup, cette vigueur cachée qui perçait quelquefois à travers
l’indolence de son caractère ; et, s’arrachant au luxe du palais ; il
parût en armes à la tête des légions, traversa le Pô, et marcha au devant de
son compétiteur. Le nom défiguré de Pontirole [927] rappelle encore
le souvenir d’un pont sur l’Adda, qui, durant l’action, dut être un de la plus
grande importance pour les deux armées. L’usurpateur fut entièrement défait, et
reçut même une blessure dangereuse. Il se sauva dans Milan, qui fut aussitôt
assiégé. Le vainqueur fit dresser contre les murailles toutes les machines de
guerre connues des anciens. Auréole, incapable de résister à des forces
supérieures, et sans espérance d’aucun secours étranger, se représentait déjà
les suites funestes d’une rébellion malheureuse.
Sa dernière ressource était de séduire la fidélité des
assiégeants. Il répandit dans leur camp des libelles, pour exhorter les soldats
à se séparer d’un prince indigne, qui sacrifiait le bonheur public à son luxe,
et la vie de ses meilleurs sujets aux plus légers soupçons. Les artifices
d’Auréole inspirèrent une crainte et le mécontentement aux principaux officiers
de son rival. Il se forma une conspiration dans laquelle entrèrent Héraclien,
préfet du prétoire ; Marcien, général habile et renommé ; Cécrops qui
commandait un nombreux corps de gardes dalmates. La mort de Gallien fut
résolue. Les conjurés voulaient terminer d’abord le siége de Milan ; mais
la vue du danger qui redoublait à chaque instant de délai, les força de hâter
l’exécution de leur audacieuse entreprise. La nuit était fort avancée, et
l’empereur avait prolongé les plaisirs de la table. Tout à coup on vient lui
annoncer qu’Auréole, à la tête de toutes ses troupes, a fait une sortie
vigoureuse. Gallien, qui ne manqua jamais de courage personnel, quitte avec
précipitation le lit magnifique sur lequel il était couché, et, sans se donner
le temps de prendre ses armes ou d’assembler ses gardes, il monte à cheval et
court à toute bride vers le lieu supposé de l’attaque. Il se trouve bientôt
environné d’ennemis déclarés ou couverts : un dard lancé au milieu de
l’obscurité par une main
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