Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
inconnue lui fait une blessure mortelle [20 mars
263] . Des sentiments patriotiques qui s’élevèrent dans l’âme de Gallien
quelques moments avant sa mort, l’engagèrent à nommer pour son successeur un
prince digne de régner. Sa dernière volonté fut que l’on donnât les ornements
impériaux à Claude, qui commandait alors un détachement dans le voisinage de
Pavie. Au moins ce bruit ne tarda-t-il pas à se répandre ; et les
conjurés, qui étaient déjà convenus de placer Claude sur le trône,
s’empressèrent d’obéir aux ordres de leur maître. La mort de Gallien parut
d’abord suspecte aux troupes ; elles commençaient à manifester leur
ressentiment. Un présent de vingt pièces d’or distribué à chaque soldat
détruisit leurs soupçons et apaisa leur colère. L’armée ratifia l’élection et
reconnut le mérite du nouveau souverain [928] .
Malgré les fables inventées par la flatterie [929] , pour illustrer
l’origine de Claude, l’obscurité qui la couvrait en prouve suffisamment la
bassesse. Il paraît seulement qu’il avait pris naissance dans une des provinces
du Danube, qu’il passa sa jeunesse au milieu des armes, et que son courage
modeste lui attira la faveur et la confiance de l’empereur Dèce. Le sénat et le
peuple le jugeaient dès lors capable de remplir les emplois les plus
importants, et reprochaient à Valérien la négligence avec laquelle il le
laissait dans le poste subalterne de tribun. L’empereur ne tarda pas à
distinguer le mérite de Claude, qui fut nommé général en chef de la frontière
d’Illyrie, avec le commandement de toutes les troupes de la Thrace, de la
Mœsie, de la Dacie, de la Pannonie et de la Dalmatie. Valérien lui donna en
même temps les appointements de préfet d’Égypte, lui accorda le rang et les
honneurs dont jouissait le proconsul d’Afrique, et lui promit le consulat. Par
ses victoires sur les Goths, Claude obtint du sénat l’honneur d’une statue, et
il excita la jalousie de Gallien qu’il méprisait. Comment un soldat aurait-il
estimé un souverain si dissolu ? Il est peut-être bien difficile de déguiser un
juste mépris. Quelques expressions indiscrètes de Claude furent officieusement
rapportées à l’empereur. La réponse de Gallien à un officier de confiance peint
le caractère de ce prince, et l’esprit du temps. Vous me parlez, dans votre
dernière dépêche [930] ,
de quelques suggestions malignes qui ont indisposé contre nous Claude ; notre
parent et notre ami ; rien ne pouvait me toucher plus sérieusement que ce que
vous me marquez, à ce sujet. Au nom de la fidélité que vous me devez, employez
toutes sortes de moyens pour apaiser le ressentiment de Claude ; mais conduisez
votre négociation avec secret : qu’elle ne parvienne pas à la connaissance des
troupes de Dacie. Elles sont déjà fort irritées, et leur fureur pourrait
s’augmenter. J’ai envoyé moi-même à leur chef quelques présents, n’épargnez
rien pour les lui rendre agréables. Surtout qu’il ne soupçonne pas que son
imprudence m’est connue : là crainte de ma colère, le porterait à des conseils
désespérés [931] .
Cette lettre si humble, dans laquelle il sollicitait sa
réconciliation avec un sujet mécontent, était accompagnée de présents
consistant en une somme considérable, en habits magnifiques et en vaisselle
d’or et d’argent. C’est ainsi que Gallien sut apaiser l’indignation et dissiper
les craintes de son général d’Illyrie ; et durant le reste de son règne la
formidable épée de Claude ne fut jamais tirée que pour défendre un maître qu’il
ne pouvait estimer. A la fin, il est vrai, il accepta la pourpre teinte du sang
de Gallien ; mais, éloigné du camp des conjurés il n’avait pas trempé dans
leurs complots, et, quoique peut-être il applaudit à la chute du tyran, nous
osons présumer qu’il n’y eut aucune part [932] .
Claude avait environ cinquante-quatre ans lorsqu’il monta sur le trône.
Le siège de Milan continuait toujours ; Auréole découvrit
bientôt que ses artifices avaient servi seulement à élever contre lui un
adversaire plus redoutable. Il essaya de proposer à Claude un traité d’alliance
et de partage : Dites-lui , répliqua l’intrépide empereur, que de
pareilles offres pouvaient être faites à Gallien ; Gallien les aurait peut-être
écoutées patiemment ; il aurait pu accepter un collègue aussi méprisable
que lui [933] .
Ce dur refus intimida les
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