Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
de convaincre les Barbares de la bonne foi aussi bien que de la
puissance de l’empire ; il acquitta d’abord les engagements que son
prédécesseur avait contractés. Les Alains, pour la plupart, apaisés par cette
démarche, abandonnèrent leurs prisonniers et leur butin, et se retirèrent
tranquillement dans leurs déserts au-delà du Phase. L’empereur, en personne,
termina heureusement la guerre contre ceux qui refusaient la paix. Secondé par
une armée de vétérans braves et expérimentés, il délivra en peu de semaines les
provinces de l’Asie des Scythes qui les dévastaient [1023] .
Mais la gloire et la vie de Tacite n’eurent qu’une courte
durée, Transplanté tout a coup, dans le cœur de l’hiver, des douces retraites
de la Campanie au pied du mont, Caucase, il ne put supporter les fatigues de la
vie militaire, à laquelle il n’était pas accoutumé. Les peines du corps furent
aggravées par celles de l’âme. L’enthousiasme du bien public avait suspendu
pour un temps les passions que l’esprit de discorde et l’intérêt personnel
avaient allumées dans le cœur des soldats. Elles reprirent bientôt leur cours
avec une violence redoublée, et elles excitèrent un furieux orage dans le camp,
dans la tente même du vieil empereur. Son caractère doux et aimable, ne servit
qu’à inspirer du mépris pour sa personne. Tourmenté sans cesse par des factions
qu’il ne pouvait étouffer, et par des demandes auxquelles il lui était
impossible de satisfaire, il voyait disparaître les espérances magnifiques
qu’il avait conçues en prenant les rênes du gouvernement. En vain s’était-il flatté
de remédier aux désordres de l’État ; il ne tarda pas à s’apercevoir que
la licence de l’armée dédaignait le frein impuissant de la loi. Le chagrin et
le désespoir de réussir dans ses projets de reforme, hâtèrent ses derniers
instants. On ne sait si les soldats trempèrent leurs mains dans le sang de ce
vertueux prince [1024] .
Il paraît du moins certain que leur insolence fut la cause de sa mort [12
avril 276] . Il expira dans la ville de Tyane, en Cappadoce, après un règne
de six mois et vingt jours seulement [1025] .
A peine Tacite eut-il les yeux fermés, que son frère
Florianus, sans attendre le consentement du sénat, s’empara de la couronne,
dont le rendait indigne son usurpation précipitée. Les camps et les provinces
conservaient encore pour la constitution romaine un respect dont l’influence
pouvait bien les engager à désapprouver l’ambition de Florianus, mais non les
déterminer à s’y opposer. Le mécontentement se serait dissipé en vains
murmures, si le général de l’Orient, le brave Probus, ne se fût pas déclaré le
vengeur du sénat. Les forces des deux prétendants paraissaient fort inégales.
Le chef le plus habile, à la tête des troupes efféminées de l’Égypte,
pouvait-il espérer de disputer la victoire aux légions invincibles de l’Europe,
qui semblaient vouloir soutenir le frère de Tacite ? La fortune et l’activité
de Probus surmontèrent tous les obstacles. Les intrépides vétérans de son
rival, accoutumés à des climats froids furent incapables de supportée les
chaleurs étouffantes de la Cilicie, où l’été fut singulièrement malsain. Aux
maladies se joignirent de fréquentes désertions, qui diminuèrent leur nombre.
Les passages des montagnes n’étaient que faiblement gardés [juillet] .
Tarse ouvrit ses portes. Enfin, les soldats de Florianus, après l’avoir laissé
jouir environ trois mois de la dignité impériale, délivrèrent l’État des
horreurs d’une guerre civile, en sacrifiant un prince qu’ils méprisaient [1026] .
Les révolutions perpétuelles du trône avaient tellement
effacé toute notion de droit héréditaire, que la famille d’un infortuné
souverain ne donnait aucun ombrage à ses successeurs. Les enfants de Tacite et
de Florianus eurent la permission de descendre dans un rang privé, et de se
mêler à la masse générale des sujets. Leur pauvreté devint, il est vrai, la
sauvegarde de leur innocence. Tacite, en montant sur le trône, avait consacré
son ample patrimoine au service public [ H. Aug. , p. 229] :
acte spécieux de générosité, mais qui montrait évidemment l’intention qu’avait
ce prince de transmettre l’empire à ses descendants. La seule consolation
qu’ils goûtèrent après leur chute, fut le souvenir de leur grandeur passée, et
la perspective
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