Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
souverain, c’est à tes soins que
nous confions Rome et l’univers. Accepte l’empire des mains du sénat ; il
est dû à ton rang, à ta conduite, à tes moeurs . A peine le tumulte des
acclamations fut-il apaisé, que Tacite, voulut refuser l’honneur dangereux
qu’on lui offrait si solennellement. Il parut surpris de ce qu’on choisissait
son âge et ses infirmités pour remplacer la vigueur martiale d’Aurélien. Ces
bras, pères conscrits, sont-ils propres à soutenir le poids d’une armure, à
pratiquer les exercices des camps ? La variété des climats, le fatigues d’une
vie militaire détruiraient bientôt une constitution faible, qui ne se soutien
que par les plus grands ménagements. Mes forces épuisées me permettent à peine
de remplir les devoirs d’un sénateur ; me mettraient-elles en état de supporter
les travaux pénibles de la guerre et du gouvernement ? Pouvez-vous croire que
les légions respecteront un vieillard infirme, dont les jours ont coulé à
l’ombre de la paix et de la retraite ? Pouvez-vous désirer que je ne
trouve jamais forcé de regretter l’opinion favorable du sénat ? [Vopiscus, H. Aug .]
La répugnance de Tacite (et peut-être était-elle sincère)
fut combattue par l’opiniâtreté affectueuse du sénat. Cinq cents voix
répétèrent à la fois, avec une éloquence tumultueuse que les plus grands princes
de Rome, Numa, Trajan, Adrien et les Antonins, avaient pris, les rênes de
l’État dans un âge très avancé ; que la république, avait besoin d’une âme
et non d’un corps, qu’elle avait fait choix d’un souverain, non d’un
soldat ; et que tout ce qu’elle lui demandait était de diriger, par sa
sagesse, la valeur des légions. Ces instances pressantes, qui exprimaient
confusément le vœu général, furent appuyées d’un discours plus régulier,
prononcé par Metius Falconius, le premier des consulaires après Tacite. Falconius
rappela les maux que Rome avait soufferts lorsqu’elle avait été gouvernée par
de jeunes princes, livrés à l’excès de leurs passions. Il félicita l’assemblée
sur l’élection d’un sénateur vertueux et expérimenté. Enfin, avec une liberté
courageuse, quoique peut-être elle eût pour principe, l’intérêt personnel, il
exhorta Tacite à ne pas oublier les motifs de son élévation, et à chercher un
successeur non dans sa famille, mais dans l’État. Ce discours fût généralement
applaudi : l’empereur élu, cédant à l’autorité de la patrie, reçut l’hommage
volontaire de ses égaux. Le consentement du peuple romain et des gardes
prétoriennes confirma le jugement des sénateurs [1018] .
L’administration de Tacite fut conforme aux principes qu’il
avait adoptés. Il conserva sur le trône le même respect pour l’assemblée
auguste dont il avait été membre. Persuadé qu’en elle seule résidait le pouvoir
législatif, il parut ne régner que pour obéir aux lois qui en émanaient [1019] . Il s’appliqua
surtout à guérir les plaies cruelles que l’orgueil impérial, les discordes
civiles et la violence militaire, avaient faites à l’État ; du moins
s’efforça-t-il de rétablir l’imagé de l’ancienne république, telle que
l’avaient conservée la politique d’Auguste et les vertus de Trajan et des
Antonins. Il ne sera pas inutile de récapituler ici quelques-unes des
prérogatives dont l’élection de Tacite semble rendre au sénat la jouissance [1020] . Les plus
importantes furent le droit, 1° de revêtir un de ses membres sous le titre d’ imperator ,
du commandement général des armées et du gouvernement des provinces frontières
; 2° de donner, par ses décrets, force de loi, et la validité nécessaire à ceux
des édits du prince qu’il approuverait ; 3° de nommer les proconsuls et
les présidents des provinces, et de conférer à tous les magistrats leur
juridiction civile ; 4° de recevoir des appels de tous les tribunaux de
l’empire, par l’office intermédiaire du préfet de la ville ; 5° de
déterminer la liste, ou, comme on l’appelait alors, le collège des
consuls : ils furent fixés à douze par année ; on en élisait deux
alternativement tous les deux mois, et ils soutenaient ainsi à dignité de cette
ancienne charge. Les sénateurs, qui s’étaient réservé le droit de les nommer,
l’exercèrent avec une liberté si indépendante, qu’ils n’eurent aucun égard à
une requête irrégulière de l’empereur pour son frère
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