Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
brillante, quoique éloignée, que leur offrait la crédulité. Une
prophétie annonçait qu’au bout de mille ans il s’élèverait un monarque du sang
de Tacite, qui protégerait le sénat, rétablirait Rome, et soumettrait toute la
terre [1027] .
Les paysans d’Illyrie avaient déjà sauvé la monarchie près
de périr, en lui donnant Claude et Aurélien. L’élévation de Probus ajouta
encore à leur gloire [1028] .
Plus de vingt ans avant cette époque, le mérite naissait du jeune soldat
n’avait point échappé à la pénétration de Valérien, qui lui conféra le rang de
tribun, quoiqu’il fût bien éloigné de l’âge prescrit par les règlements
militaires. La conduite du tribun justifia bientôt un choix si flatteur. Il
remporta sur un détachement considérable de Sarmates une victoire complète,
dans laquelle il sauva la vie à un proche parent de l’empereur et, mérita de
recevoir des mains du prince les bracelets, les colliers, les épées, les
drapeaux, la couronne civique, la couronne murale, et toutes les marques
honorables destinées par l’ancienne Rome à récompenser la valeur triomphante.
On lui confia le commandement de la troisième légion, et ensuite de la dixième.
Dans la carrière des honneurs, Probus se montra toujours supérieur au grade
qu’il occupait. L’Afrique et le Pont, le Rhin, le Danube, le Nil et l’Euphrate,
lui fournirent tour à tour les occasions les plus brillantes de développer son
courage personnel et ses talents militaires. Aurélien lui dut la conquête de
l’Égypte, et fut encore plus redevable à la fermeté héroïque avec laquelle il
réprima souvent la cruauté de son maître. Tacite, qui voulait suppléer à son
peu d’expérience pour la guerre par l’habileté de ses généraux, nomma Probus,
commandant en chef de toutes les provinces orientales, lui donna un revenu cinq
fois plus considérable que les appointements attachés à cette place, lui promit
le consulat, et lui fit espérer les honneurs du triomphe. Probus avait environ quarante-quatre
ans [1029] lorsqu’il monta sur le trône. Il jouissait alors de toute sa réputation, de
l’amour des troupes, et de cette vigueur d’esprit et de corps propre aux plus
grandes entreprises.
Son mérite reconnu et le succès de ses armes contre
Florianus le laissaient sans ennemi ou sans rival. Cependant, si nous en
croyons sa propre déclaration, bien loin d’avoir recherché la pourpre, il ne
l’avait acceptée qu’avec la plus sincère répugnance. Mais il n’est déjà plus
en mon pouvoir , dit-il dans une lettre particulière, de renoncer à un
titre qui m’expose à l’envie et à tant de dangers. Je dois continuer de jouer
le rôle que les troupes m’ont forcé de prendre [1030] . Sa lettre
respectueuse au sénat offre les sentiments, ou du moins le langage d’un
patriote romain. Lorsque vous avez choisi un de vos membres, pères
conscrits, pour succéder à l’empereur Aurélien, vous vous êtes conduits
conformément à votre justice et à votre sagesse ; car vous étés les
souverains légitimes de l’univers, et la puissance que vous tenez de vos
ancêtres sera transmise à votre postérité. Plût aux dieux que Florianus, au
lieu de s’emparer de la pourpre de son frère comme d’un héritage particulier,
eut attendu ce que votre autorité déciderait en sa faveur ; où pour
quelque autre personne ! Les prudentes légions l’ont puni de sa
témérité ; elles m’ont offert le titre d’Auguste, mais je soumets à votre
clémence mes prétentions et mes services [1031] .
Lorsque cette lettre fut lue par le conseil [3 août 276] ,
les sénateurs ne purent dissimuler leur satisfaction de ce que Probus daignait
solliciter si humblement un sceptre qu’il possédait déjà. Ils célébrèrent avec
la plus vive reconnaissance ses vertus, ses exploits, et surtout sa modération.
Aussitôt un décret passé d’une voix unanime ratifia le choix des armées de
l’Orient, et conféra solennellement à leur brave chef toutes les diverses
branches de la dignité impériale, les noms de César et d’Auguste, le titre de
père de la patrie, le droit de proposer le même jour trois décrets dans le
sénat [1032] ,
l’office de souverain pontife, la puissance tribunitienne, et le commandement
proconsulaire : forme d’investiture qui, en paraissant multiplier
l’autorité du prince, retraçait la constitution de l’ancienne république. Le
règne de Probus répondit à
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