Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
parties des faits, n’ait pas plus souvent laissé la place à ce génie
vraiment philosophique qui les réunit au contraire en un même corps, et donne
ainsi plus de réalité et de vie à des objets qu’il présente dans leur ensemble.
Mais nul ne pourra s’empêcher d’être frappé de la netteté d’un si vaste
tableau, des vues presque toujours justes et quelquefois profondes qui
l’accompagnent, de la clarté de ces développements qui fixent l’attention sans
la fatiguer, où rien de vague ne trouble et n’embarrasse l’imagination ;
enfin de la rare étendue de cet esprit, qui, parcourant le vaste champ de
l’histoire, en examine les parties les plus secrètes, le montre sous tous les
points de vue d’où il peut être considéré ; et faisant, pour ainsi dire,
tourner le lecteur autour des événements et des hommes, lui prouve que les vues
incomplètes sont toujours fausses ; et que sans un ordre de choses où tout
se lie et se combine, il faut tout connaître, pour avoir le droit de juger le
moindre détail. C’est à la pénétration de l’historien, à cette admirable
sagacité qui devine et fait suivre la marche réelle des faits, en mettant au
grand jour leurs causes les plus éloignées, qu’est dû cet intérêt de narration
qui règne dans tout le cours de l’ Histoire de la Décadence et de la Chute de
l’Empire romain ; et, l’on ne saurait, à mon avis, accorder trop d’estime
ni trop d’éloges à cette immense variété de connaissances et d’idées, au
courage qui a entrepris de les mettre en œuvre, à la constance qui en est venue
à bout : enfin à cette liberté d’esprit qui ne se laisse enchaîner ni par
les institutions ni par les temps, et sans laquelle il n’y a ni grand historien
ni véritable histoire. Il ne reste plus qu’un mot à ajouter pour la gloire de
Gibbon : un tel ouvrage, avant lui, n’était pas fait, et, quoiqu’on pût y
reprendre ou y perfectionner dans quelques parties, après lui il ne reste plus
à faire.
Préface de l’auteur.
Mon intention n’est pas de m’étendre sur la variété et sur
l’importance du sujet que j’ai entrepris de traiter ; le mérite du choix
ne servirait qu’à mettre dans un plus grand jour et à rendre moins pardonnable
la faiblesse de l’exécution. Mais, en donnant au public cette première partie
de l’ Histoire de la Décadence et de la Chute de l’Empire romain , je
crois devoir expliquer en peu de mots la nature de cet ouvrage et marquer les
limites du plan que j’ai embrassé.
On peut diviser en trois périodes les révolutions
mémorables, qui, dans le cours d’environ treize siècles, ont sapé le solide
édifice de la grandeur romaine, et l’ont enfin renversé.
1° Ce fut dans le siècle de Trajan et des Antonins que la
monarchie romaine, parvenue au dernier degré de sa force et de son
accroissement, commença de pencher vers sa ruine. Ainsi, la première période
s’étend depuis le règne de ces princes jusqu’à la destruction de l’empire
d’Occident par les armes des Germains et des Scythes, souche grossière et
sauvage dès nations aujourd’hui les plus polies de l’Europe. Cette révolution
extraordinaire, qui soumit Rome à un chef des Goths, fut accomplie dans les
premières années du sixième siècle.
2° On peut fixer le commencement de la seconde période à
celui du règne de Justinien, qui, par ses lois et par ses victoires, rendit à
l’empire d’Orient un éclat passager. Elle renfermé l’invasion des Lombards en
Italie, la conquête des provinces romaines de l’Asie et de l’Afrique par les
Arabes qui avaient embrassé la religion de Mahomet, la révolte du peuple romain
contre les faibles souverains de Constantinople, et l’élévation de Charlemagne
qui, en 800, fonda le second empire d’Occident, autrement dit l’empire
germanique.
3° La dernière et la plus longue ces périodes. contient
environ six siècles et demi depuis le renouvellement de l’empire en Occident
jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs, et l’extinction de la race de
ces princes dégénérés, qui se paraient des vains titres de César et d’Auguste,
tandis que leurs domaines étaient circonscrits dans les murailles d’une seule
ville, où l’on ne conservait même aucun vestige de la langue et des mœurs des
anciens Romains. En essayant de rapporter les événements de cette période, on
se verrait obligé de jeter un coup d’œil sur l’histoire
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