Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
contractée dans une
condition privée. Maximien, dont l’esprit altier et turbulent lui devint par la
suite si fatal, et troubla la tranquillité publique, était accoutumé à
respecter le génie de Dioclétien, et il avouait l’ascendant de la raison sur
une violence brutale [1119] .
La superstition ou l’orgueil engagea ces princes à prendre les titres, l’un de
Jovius, l’autre d’Herculius. Tandis que, selon le langage des mercenaires
orateurs de ce siècle, la sagesse clairvoyante de Jupiter imprimait le
mouvement à l’univers, le bras invincible d’Hercule purgeait la terre des
monstres et des tyrans [1120] .
Mais la toute puissance même de Jovius et d’Herculius ne
suffisait pas à supporter le fardeau de l’administration publique. Le sage
Dioclétien s’aperçut que l’empire, assailli de tous côtés par les Barbares,
exigeait de tous côtés la présence d’une armée et d’un empereur. Il prit donc
la résolution de diviser encore une fois cette masse énorme de pouvoir, et de
donner, avec le titre inférieur de César, une portion égale d’autorité
souveraine à deux généraux d’un mérite reconnu [1121] . Son choix
tomba sur Galère, dont le nom d’Armentarius rappelait l’état de pâtre qu’il
avait d’abord exercé, et sur Constance, nommé Chlore [1122] , par allusion à
la pâleur de son teint. Tout ce que nous avons dit de la patrie, de
l’extraction et des mœurs d’Herculius, s’applique exactement à Galère, qui fut
souvent, et avec raison, appelé Maximien le jeune, quoique dans plusieurs
occasions il ait montré plus de talents et de vertus que le prince de ce nom.
L’origine de Constance était moins obscure que celle de ses collègues. Eutrope,
son père, tenait un rang considérable parmi les nobles de Dardanie, et sa mère
était nièce de l’empereur Claude [1123] .
Quoique Constance eût passé sa jeunesse dans les armées, son caractère était
doux et aimable. Depuis longtemps la voix du peuple le jugeait digne du rang
qu’il avait enfin obtenu. Pour resserrer les liens de la politique par ceux de
l’union domestique, les empereurs adoptèrent les Césars, et leur donnèrent
leurs filles en mariage [1124] ,
après les avoir obligés de répudier leurs femmes. Dioclétien fut père de
Galère ; Maximien, de Constance. Ces quatre princes se distribuèrent entre
eux la vaste étendue de l’empire romain. La défense de la Gaule, de l’Espagne [1125] et de la
Bretagne, fut confiée à Constance. Galère resta campé sur les rives du Danube,
pour veiller à la sûreté des provinces d’Illyrie. L’Italie et l’Afrique
formèrent le département de Maximien. Dioclétien se réserva la Thrace, l’Égypte
et les contrées opulentes de l’Asie. Chacun régnait en souverain dans les
provinces qui lui avaient été assignées ; mais leur puissance réunie
s’étendait sur tout l’empire. Ils se tenaient tous préparés à voler au secours
d’un collègue, ou à l’aider de leurs conseils. Les Césars, dans le poste élevé
qu’ils occupaient, révélaient la majesté des empereurs ; et les trois
princes, qui devaient leur fortune à Dioclétien, conservèrent toujours le
souvenir de ses bienfaits, et lui restèrent invariablement attachés. La
jalousie du pouvoir n’altérait point une union si parfaite. On comparait cet
accord singulier à un chœur de musique dont la main habile du premier artiste
règle et entretient l’harmonie [1126] .
L’élection des deux Césars n’eut lieu que six ans environ
après l’association de Maximien. Dans cet intervalle, il se passa plusieurs
événements mémorables ; mais, pour mettre de la clarté dans notre
narration, nous avons préféré d’exposer d’abord clans son ensemble la forme du
gouvernement établi par Dioclétien, et de rapporter ensuite les événements de
son règne, en suivant plutôt l’ordre naturel des faits que les dates d’une
chronologie fort incertaine.
Le premier exploit de Maximien [en 287] , dont les
monuments imparfaits de ce siècle ne parlent qu’en peu de mots, mérite, par sa
singularité, de trouver place dans une histoire destinée à peindre les mœurs du
genre humain. Il réprima les paysans de la Gaule, qui, sous le nom de Bagaudes [1127] , désolaient
cette province : ce soulèvement général peut être comparé à ceux qui, dans le
quatorzième siècle, troublèrent successivement la France et l’Angleterre [1128] . Plusieurs des
institutions que
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