Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
mélange si heureux de talents et de
caractères différents, qu’il eût été difficile de les rassembler de nouveau.
Pouvait-on se flatter de voir encore une fois deux empereurs sans jalousie,
deux Césars sans ambition, et quatre princes indépendants animés du même
esprit, et invariablement attachés à l’intérêt général ? L’abdication de
Dioclétien et de Maximien fut suivie de dix-huit ans de confusion et de
discordes ; cinq guerres civiles déchirèrent le sein de l’empire ; et les
intervalles de paix furent moins un état de repos qu’une suspension d’armes
entre des monarques ennemis, qui, s’observant mutuellement avec l’œil de la
crainte et de la haine, s’efforçaient d’accroître leur puissance aux dépens de
leurs sujets.
Dès que Dioclétien et Maximien eurent quitté la pourpre, le
poste qu’ils avaient occupé fut, en vertu des règles de la nouvelle
constitution, rempli par les deux Césars. Constance et Galère prirent aussitôt
le titre d’Auguste [1232] .
Le droit de préséance, et les honneurs dus à l’âge furent accordés au premier
de ces princes. Il gouverna sous une nouvelle dénomination son ancien
département, la Gaule, l’Espagne et la Bretagne. L’administration de ces vastes
provinces suffisait pour exercer ses talons et pour satisfaire son ambition. La
modération, la douceur et la tempérance, caractérisaient principalement cet
aimable souverain, et ses heureux sujets avaient souvent occasion d’opposer les
vertus de leur maître aux passions violentes de Maximien, et même à la conduite
artificieuse de Dioclétien. Au lieu d’imiter le vaste et la magnificence
asiatique, qu’ils avaient introduits dans leurs cours, Constance conserva la
modestie d’un prince romain. Il disait avec sincérité que son plus grand trésor
était dans le cœur de ses peuples ; et qu’il pouvait compter sur leur
libéralité et sur leur reconnaissance toutes les fois que la dignité du trône
et que les dangers de l’État exigeraient quelqu’un secours extraordinaire [1233] . Les habitants
de la Gaule, de l’Espagne et de la Bretagne, pleins du sentiment de son mérite
et du bonheur dont ils jouissaient, ne songeaient qu’avec anxiété à la santé
languissante de leur souverain, et ils envisageaient avec inquiétude l’âge
encore tendre des enfants qu’il avait eus de son second mariage avec la fille
de Maximien.
Les qualités de Constance formaient un contraste frappant
avec le caractère dur et sévère de son collègue. Galère avait des droits à
l’estime de ses sujets ; il daigna rarement mériter leur affection. Sa.
réputation dans les armes, et surtout le succès brillant de la guerre de Perse
avaient enorgueilli son esprit naturellement altier, et qui ne pouvait souffrir
de supérieur ni même d’égal. S’il était possible de croire le témoignage
suspect d’un écrivain peu judicieux, nous pourrions attribuer l’abdication de
Dioclétien aux menaces de Galère, et il nous serait facile de rapporter les
particularités d’une conversation secrète entre ces deux princes, dans laquelle
le premier montra autant de faiblesse que l’autre développa d’ingratitude et
d’arrogance [1234] .
Mais un examen impartial du caractère et de la conduite de Dioclétien, suffit
pour détruire ces anecdotes obscures. Quelles qu’aient pu être les intentions
de ce prince, s’il eût eu à redouter la violence de Galère, sa prudence lui
aurait donné les moyens de prévenir un débat ignominieux ; et comme il avait
tenu le sceptre avec éclat, il serait descendu du trône sans rien perdre de sa
gloire.
Lorsque Galère et Constance eurent été élevés au rang d’ Auguste ,
le nouveau système de gouvernement impérial exigeait deux autres Césars .
Dioclétien désirait sincèrement de se retirer du monde : regardant Galère,
qui avait épousé sa fille, comme l’appui le plus ferme de sa famille et de
l’empire, il consentit sans peine à lui laisser le soin brillant et dangereux
d’une nomination si importante. On ne consulta pour ce choix ni l’intérêt ni
l’inclination des princes d’Occident. Ils avaient chacun un fils qui était
parvenu à l’âge d’homme ; et l’on devait naturellement espérer que leurs
enfants seraient revêtus de la pourpre. Mais la vengeance impuissante de
Maximien n’était plus à craindre ; et Constance, supérieur à la crainte
des dangers, cédait à son humanité qui lui faisait redouter pour
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