Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
toutes les fois que la persuasion manquait son effet, il avait
recours à la violente. L’histoire nous a conservé l’exemple mémorable d’une
femme de grande naissance qui conserva sa chasteté par une mort volontaire [1274] . Les soldats
furent la seule classe d’hommes que Maxence parut respecter, on dont il
s’empressa de gagner l’affection. Il remplit Rome et l’Italie de troupes dont
il favorisa secrètement la licence : sûres de l’impunité, elles avaient la
liberté de pilier, de massacrer même le peuple [1275] , et elles se
livraient aux mêmes excès que leur maître. On voyait, souvent Maxence gratifier
l’un de ses favoris de la superbe maison de campagne ou de la belle femme d’un
sénateur. Un prince de ce caractère, également incapable de gouverner dans la
guerre et dans la paix, pouvait bien acheter l’appui des légions, mais non pas
leur estime. Cependant son orgueil égalait ses autres vices. Tandis qu’éloigne
du bruit des armes, il passait honteusement sa vie dans l’enceinte de son
palais ou dans les jardins de Salluste, on l’entendait répéter que lui seul
était empereur ; que les autres princes n’étaient que ses lieutenants, et
qu’il leur avait confié la garde des provinces frontières afin de pouvoir
goûter sans interruption les plaisirs et les agréments de sa capitale. Durant les
six années de son règne, Rome, qui avait si longtemps regretté l’absence de son
maître, regarda sa présence comme un affreux malheur [1276] .
Quelle que pût être l’horreur de Constantin pour la conduite
de Maxence ; quelque compassion que lui inspirât le sort des Romains, de
pareils motifs ne l’auraient probablement pas engagé à prendre les armes. Ce
fut le tyran lui-même qui attira la guerre dans ses États ; il eut la témérité
de provoquer un adversaire formidable, dont jusqu’alors l’ambition avait été
plutôt retenue par des considérations de prudence que par des principes de
justice [1277] .
Après la mort de Maximien, ses titres, selon l’usage reçu, avaient été effacés,
et ses statues renversées avec ignominie. Son fils, qui l’avait persécuté et
abandonné pendant qu’il vivait, affecta les plus tendres égards pour sa
mémoire, et il ordonna que l’on fit éprouver le même traitement à toutes les
statues élevées, en Italie et en Afrique, en l’honneur de Constantin. Ce sage
prince, qui désirait sincèrement éviter une guerre dont il connaissait
l’importance et les difficultés, dissimulât d’abord l’insulte ; il employa
la voie plus douce des négociations, jusqu’à ce qu’enfin, convaincu des
dispositions hostiles et des projets ambitieux de l’empereur d’Italie, il crut
nécessaire d’armer pour sa défense ; Maxence avouait ouvertement ses
prétentions à la monarchie tout entière de l’Occident. Une grande armée, levée
par ses ordres, se préparait déjà à envahir les provinces de la Gaule du côté
de la Rhétie ; et, quoiqu’il n’eût aucun secours à espérer de Licinius, il
se flattait que les légions d’Illyrie, séduites par ses présents et par ses
promesses, abandonneraient l’étendard de leur maître, et viendraient se mettre
au rang de ses sujets et de ses soldats [1278] .
Constantin n’hésita pas plus longtemps : il avait délibéré avec
circonspection, il agit avec vigueur. Le sénat et le peuple de Rome lui avaient
envoyé des ambassadeurs pour le conjurer de les délivrer d’un cruel
tyran ; il leur donna une audience particulière ; et, sans écouter
les timides représentations de son conseil ; il résolut de prévenir son
adversaire, et de porter la guerre dans le cœur de l’Italie [1279] .
L’entreprise ne présentait pas moins de dangers que de
gloire. Le malheureux, succès des deux premières invasions suffisait pour
inspirer les plus sérieuses alarmes. Dans ces deux guerres, les vétérans, qui
respectaient le nom de Maximien, avaient embrassé la cause de son fils.
L’honneur ni l’intérêt ne leur permettaient pas alors de penser à une seconde
désertion. Maxence, qui regardait les prétoriens comme le plus ferme rempart de
son trône, les avait reportés au nombre que leur avait assigné l’ancienne
institution. Ces soldats composaient, avec les autres Italiens qui étaient
entrés au service, un corps formidable de quatre-vingt mille hommes. Quarante
mille Maures et Carthaginois avaient été levés depuis la réduction de
l’Afrique. La Sicile même
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