Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
les caractères
et les motifs des personnages éminents qui fleurirent du temps de Cicéron et
des premiers Césars, pour être assurés que leur conduite dans cette vie ne fut
jamais dirigée par aucune conviction sérieuse des punitions et des récompenses
d’un état futur. Au barreau et dans le sénat de Rome, les orateurs les plus
habiles, ne craignaient pas d’offenser leurs auditeurs [1400] en représentant
cette doctrine comme une opinion vaine et extravagante, que rejetait avec
mépris tout homme dont l’esprit avait été cultivé par l’éducation.
Puisque la philosophie, malgré les efforts les plus
sublimes, ne peut parvenir qu’à indiquer faiblement le désir, l’espérance, ou
tout au plus la probabilité d’une vie à venir ; il n’appartient donc qu’à
la révélation divine d’affirmer l’existence et de représenter l’état de ce pays
invisible, destiné à recevoir les âmes des hommes après leur séparation d’avec
les corps. Mais il est facile d’apercevoir dans les religions de la Grèce et de
Rome plusieurs défauts inhérents, qui les rendaient incapables d’entreprendre
une tâche si difficile. 1° Le système général de la mythologie ancienne ne
portait sur aucune preuve solide ; et les plus sages d’entre les païens
avaient déjà secoué l’autorité qu’elle avait usurpée. 2° La description des
régions infernales avait été abandonnée aux peintres et aux poètes ; et
leur imagination les peuplait d’un si grand nombre de fantômes et de monstres,
elle distribuait les punitions et les récompenses avec si peu d’égalité, qu’une
vérité auguste, la plus faite pour le coeur de l’homme, avait été
insensiblement étouffée et dégradée par le mélange absurde des fictions les
plus grossières [1401] .
3° A peine les polythéistes les plus religieux de la Grèce et de Rome
envisageaient-ils la doctrine d’un état futur comme un article fondamental de
foi. La providence des dieux avait plutôt rapport aux sociétés publiques qu’aux
individus et elle se développait principalement sur le théâtre visible de notre
univers. Les vœux particuliers offerts devant les autels de Jupiter ou d’Apollon
exprimaient le désir inquiet de leurs adorateurs pour la félicité temporelle,
et marquaient en même temps leur ignorance ou leur insensibilité concernant une
vie à venir [1402] .
La vérité importante de l’immortalité de l’âme fut annoncée avec plus de soin et
avec plus de succès dans l’Inde, en Assyrie, en Égypte et dans la Gaule ;
et puisque ce n’est point dans une supériorité de connaissances parmi ces
Barbares que nous pouvons trouver la raison d’une différente si sensible ; il
faut l’attribuer à l’influence d’un ordre de prêtres établis dans ces contrées,
et qui employaient les motifs de vertu comme des instruments d’ambition [1403] .
On se serait naturellement attendu qu’un principe si
essentiel à la religion aurait été révélé dans les termes les plus clairs au
peuple choisi de la Palestine, et qu’il aurait pu être confié en toute sûreté à
la race sacerdotale d’Aaron. Il est de notre devoir d’adorer les décrets
mystérieux de la Providence [1404] lorsque nous voyons la doctrine de l’immortalité de l’âme omise dans la loi
mosaïque [1405] .
Les prophètes l’annoncèrent obscurément ; et durant la longue période qui
s’écoula entre la servitude chez les Égyptiens et la captivité de Babylone, les
espérances aussi bien que les craintes des Juifs paraissent avoir été
resserrées dans le cercle étroit de la vie présente [1406] . Après que
Cyrus eut permis à la nation exilée de retourner dans la terre promise, et
qu’Esdras eut rétabli les anciens monuments de la religion, deux sectes
célèbres, les saducéens et les pharisiens s’élevèrent à Jérusalem [1407] . Les premiers
qui formaient la classe la plus opulente et la plus distinguée de l’État,
s’attachaient au sens littéral de la loi de Moïse, et ils rejetaient pieusement
l’immortalité de l’âme comme une opinion qui n’avait point été consignée dans
le livre divin, seule règle reconnue de leur foi. A l’autorité des écritures,
les pharisiens ajoutaient celle de la tradition, et sous le nom de tradition
ils comprenaient plusieurs dogmes spéculatifs tirés de la philosophie ou de la
religion des Orientaux. Les doctrines de la fatalité ou de la prédestination,
des anges et des esprits, et
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