Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
qu’il
fût question de déterminer quelle loi, quelle règle d’équité il devait suivre
en exerçant des fonctions qui répugnaient à son humanité. Il n’avait jamais vu
de procédure légale contre les chrétiens, dont il parait que le nom seul lui
était connu ; il n’avait pas la moindre idée de la nature de leur crime,
de la manière de les convaincre, ni du genre de punition qu’ils
méritaient : dans cette incertitude, il eut recours à son oracle
ordinaire, la sagesse de Trajan. En envoyant à ce prince une peinture fidèle,
et à certains égards favorable, de la nouvelle superstition, il le conjure de
daigner résoudre ses doutes et éclairer son ignorance [1621] . Pline avait
passé sa vie dans l’étude des lettres et au milieu des affaires du monde. Dès
l’âge de dix-neuf ans, il avait plaidé avec distinction devant les tribunaux de
Rome [1622] .
Devenu ensuite, membre du sénat, et revêtu de la dignité de consul, il avait
formé de nombreuses liaisons avec des hommes de tout état, soit dans l’Italie,
soit dans les provinces. Cette ignorance dont il parle peut donc nous donner
des éclaircissements utiles. Nous ne craindrons pas d’avancer que, lorsqu’il
accepta le gouvernement de la Bithynie, il ne se trouvait aucune loi générale,
aucun décret porté par le sénat qui fût alors en vigueur contre les
chrétiens ; que ni Trajan, ni aucun de ses prédécesseurs vertueux, dont
les édits avaient été reçus dans la jurisprudence civile et criminelle,
n’avaient déclaré publiquement leurs intentions au sujet de la nouvelle
secte ; et que, quelles que pussent être les mesures employées précédemment
contre les chrétiens, il n’y avait point encore eu de décision assez
respectable ni assez authentique pour servir de modèle à un magistrat romain.
La réponse de Trajan, à laquelle dans les siècles suivants,
les chrétiens en ont souvent appelé, renferme tous les égards pour la justice
et pour l’humanité, qui pouvaient se concilier avec les notions erronées que
suivait ce prince en matière de police religieuse [1623] . Au lieu de
déployer le zèle implacable d’un inquisiteur avide de découvrir les plus légères
traces de l’hérésie, et se glorifiant dans le nombre de ses victimes,
l’empereur prend bien plus de soin à protéger l’innocence qu’à empêcher le
coupable de s’échapper. Il reconnaît combien il est difficile de former un plan
général ; mais il établit deux règlements utiles, qui furent souvent
l’appui et la consolation des chrétiens opprimés. Quoiqu’il ordonne aux
magistrats de punir tout homme convaincu selon les lois, par une sorte de
contradiction digne de son humanité, il leur défend de faire aucune
perquisition contre ceux que l’on pourrait soupçonner de ce crime. Il ne leur
est pas permis de recevoir toute espèce de dénonciation. L’empereur rejette les
délations anonymes, comme trop opposées à l’équité de son gouvernement ;
et, pour convaincre les personnes auxquelles on impute le crime de
christianisme, il exige expressément le témoignage positif d’un accusateur, qui
parle ouvertement et qui se montre en public. Ceux qui jouaient un rôle si
odieux, étaient vraisemblablement obligés de motiver leurs soupçons, de
spécifier relativement au temps, au lieu, les assemblées secrètes qu’avaient
fréquentées les chrétiens qu’ils accusaient, et de rapporter un grand nombre de
circonstances que la plus inquiète vigilance dérobait à l’œil du profane. S’ils
réussissaient dans leur poursuite, ils s’attiraient la haine d’un parti
considérable et actif ; ils s’exposaient aux reproches des gens honnêtes et
éclairés, et ils se couvraient de l’opprobre attaché, dans tous les siècles et
dans tous les pays, au caractère de délateur. Si au contraire ils n’apportaient
pas de preuves suffisantes, ils encouraient la peine sévère, et peut-être
capitale décernée en vertu d’une loi de l’empereur Adrien, contre ceux qui
attribuaient faussement à leurs concitoyens le crime de christianisme. La
violence de l’animosité personnelle ou superstitieuse pouvait quelquefois
l’emporter sur la crainte plus naturelle du danger et de l’infamie ; mais
on ne croira sûrement pas que les sujets idolâtres, de l’empire romain aient
formé légèrement ou fréquemment des accusations dont ils avaient si peu à
espérer [1624] .
L’expédient que l’on employait pour éluder la
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