Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
prudente des
lois peut servir a prouver combien elle se prêtait peu aux projets pernicieux
de la haine personnelle, ou du zèle de la superstition ; mais dans une
assemblée tumultueuse, la crainte et la honte, qui agissent si puissamment sur
l’esprit des individus, perdent la plus grande partie de leur influence. Le
dévot chrétien, selon qu’il désirait ou qu’il appréhendait la couronne du
martyre, attendait avec impatience ou avec terreur le retour des fêtes ou des
jeux publics, célébrés en certains temps fixes. Dans ces occasions, les
habitants des grandes villes de l’empire, se rendaient en foule au cirque ou au
théâtre : là, tous les objets qui frappaient leurs regards, toutes les
cérémonies auxquelles ils assistaient, contribuaient à enflammer leur dévotion
et à étouffer leur humanité. Tandis que de nombreux spectateurs, couronnés de
guirlandes, parfumés d’encens, purifiés par le sang des victimes, et environnés
des autels et des statues de leurs divinités tutélaires, se livraient aux
plaisirs qu’ils regardaient comme une partie essentielle de leur culte
religieux, ils se rappelaient que les chrétiens seuls avaient en horreur les
dieux du genre humain, et que, par leur absence ou par leur sombre aspect au
milieu de ces fêtes solennelles, ils semblaient insulter à la félicité publique
ou ne l’envisager qu’avec peine. Si l’empire avait été affligé de quelque
calamité récente, d’une peste, d’une famine ou d’une guerre malheureuse ; si le
Tibre avait débordé, ou que le Nil ne se fût point élevé au-dessus de ses
rives ; si la terre avait tremblé, si l’ordre des saisons avait été
interrompu, les païens superstitieux se persuadaient que les crimes et l’impiété
des chrétiens, qu’épargnait la douceur excessive du gouvernement, avaient enfin
provoqué la justice divine. Ce n’était point au milieu d’une populace
turbulente et irritée, qu’il eût pété possible d’observer les formes d’une
procédure légale ; ce n’était point dans un amphithéâtre teint du sang des
bêtes sauvages et des gladiateurs, que la voix de la pitié aurait pu se faire
entendre. Les clameurs impatientes de la multitude, dénonçaient les chrétiens
comme les ennemis des dieux et des hommes ; elles les condamnaient aux
supplices les plus cruels ; et poussant la licence jusqu’à désigner par leur
nom les principaux chefs de la nouvelle secte, elles exigeaient impérieusement
qu’ils fussent aussitôt saisis et jetés aux lions [1625] . Les
gouverneurs et les magistrats des provinces, qui présidaient aux spectacles
publics, étaient assez portés à satisfaire les désirs du peuple et à en apaiser
la rage par le sacrifice d’un petit nombre de victimes odieuses. Mais la
sagesse des empereurs mit l’Église à l’abri de ces cris tumultueux et de ces
accusations irrégulières qu’ils jugeaient indignes de la fermeté et de la
justice de leur administration ; les édits d’Adrien et d’Antonin le Pieux
déclarèrent expressément que la voix de la multitude ne serait jamais admise, comme
preuve légale pour convaincre ou pour punir ces infortunés livrés aux rêveries
du christianisme [1626] .
III . Le châtiment n’était pas une suite inévitable de
la conviction ; et lorsque le crime avait été clairement prouvé par les
témoins ou même par la confession volontaire du coupable, on lui laissait
toujours l’alternative de la vie ou de la mort. Ce qui excitait l’indignation
du magistrat, c’était moins l’offense passée que la résistance actuelle. Il
croyait offrir un pardon facile à mériter, puisqu’en consentant à jeter
quelques grains d’encens sur l’autel l’accusé se retirait tranquille et
approuvé. On croyait qu’un juge humain devait chercher à détromper plutôt qu’à
punir ces aveugles enthousiastes. Prenant un ton différent, selon l’âge, le
sexe ou la situation des prisonniers, il daignait souvent exposer à leurs yeux
tout ce que la vie avait de plus agréable, tout ce que la mort avait de plus
terrible ; souvent il les sollicitait, les conjurait même d’avoir quelque
compassion pour leurs personnes, pour leurs familles et pour leurs amis [1627] . Si les menaces
et les exhortations n’avaient aucun effet, il avait recours à la
violence ; les fouets, les tortures, venaient suppléer au défaut
d’arguments ; et l’on employait les supplices les plus cruels pour subjuguer une
opiniâtreté si
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