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Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Titel: Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edward Gibbon
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célébrées publiquement, sans aucune
opposition de la part des magistrats. Ceux d’entre les fidèles qui avaient
rendu ces derniers honneurs à sa personne et à sa mémoire, ne furent ni
recherchés ni punis. Il est singulier que de tous les évêques qui étaient en si
grand nombre dans la province d’Afrique, saint Cyprien ait été le premier jugé
digne d’obtenir la couronne du martyre [1656] .
    Il avait le choix de mourir martyr ou de vivre
apostat ; mais c’était avoir à choisir de l’honneur ou de l’infamie. Quand
nous pourrions même supposer que l’évêque de Carthage eût fait surgir son zèle
pour la foi chrétienne d’instrument à son avarice ou à son ambition, il lui
importait toujours de soutenir le rôle qu’il avait pris [1657] ; et s’il
possédait le moindre degré de courage, il devait s’exposer à plus cruels
tourments, plutôt que de changer, par une seule action, la réputation d’une vie
entière contre l’horreur de ses frères chrétiens, et contre le mépris du monde
idolâtre. Mais si le zèle de saint Cyprien avait pour base la conviction
sincère de la vérité des dogmes qu’il prêchait, loin de contempler avec effroi 
la couronne du martyr, il devait la regarder comme l’objet de ses désirs. Les déclamations
vagues, quoique éloquentes, des pères de l’Eglise ne nous présentent aucune
idée distincte, et il serait difficile d’assigner le degré de gloire et de
bonheur immortel qu’ils promettaient avec assurance aux chrétiens assez heureux
pour répandre leur sang dans la cause de la religion [1658] . Ils avaient
soin d’inculquer que le feu du martyre tenait lieu de tout et qu’il expiait
tous les péchés ; que bien différents des chrétiens ordinaires dont les
âmes sont obligées de subir une purification lente et pénible, les martyrs
triomphants entraient immédiatement dans le séjour du bonheur éternel, où,
jouissant de la société des patriarches, des apôtres et des prophètes, ils
régnaient avec Jésus-Christ, et assistaient au jugement universel du genre
humain. L’assurance d’une réputation durable sur la terre, motif si propre à
flatter la vanité de l’homme, animait souvent le courage des martyrs. Les
honneurs de Rome et Athènes accordaient aux citoyens morts pour la partie,
n’étaient que de timides démonstrations, que de vaines marques de respect,
comparés à la gratitude, à la dévotion ardente avec laquelle la primitive
Église célébrait les glorieux champions de l’Évangile. L’anniversaire de leurs
vertus et de leurs souffrances était regardé comme une fête sacrée qui fut
convertie, dans la suite, en un culte religieux. Il arrivait fréquemment que
les magistrats païens ne punissaient pas du dernier supplice ceux qui avaient
confessé publiquement la foi ; après être sortis de leurs prisons, ces
chrétiens obtenaient les honneurs que méritaient leur martyre imparfait et leur
généreuse résolution. Les femmes pieuses sollicitaient la permission
d’appliquer leurs bouches sur les fers qu’ils avaient portés, sur les blessures
qu’ils avaient reçues. Leurs personnes  étaient réputées sacrées, leurs
décisions admises, avec déférence. Ils n’abusèrent que trop souvent, par leur
orgueil spirituel et par leurs mœurs licencieuses, de la prééminente qu’ils
devaient à leur zèle et à leur intrépidité [1659] .
En faisant connaître le haut prix qu’on attachait au mérite des martyrs, de
pareilles distinctions décèlent le petit nombre de ceux qui souffrirent, et qui
moururent pour la profession du christianisme.
    Aujourd’hui que l’enthousiasme a fait place à une
circonspection réservée, on serait plutôt disposé à critiquer qu’à louer, mais
plus encore à louer qu’à imiter la ferveur des premiers chrétiens qui, selon la
vive expression de Sulpice Sévère, désiraient le martyre avec plus d’ardeur que
ses contemporains ne sollicitaient un évêché [1660] . Les épîtres
composées par saint Ignace, tandis que, chargé de chaînes, il traversait les
villes de l’Asie, respirent les sentiments les plus opposés aux sensations
ordinaires de l’homme. Il dédaigne la pitié des Romains ; il les conjure
instamment de ne point le priver, par leur intercession de la couronne du
martyre, quand il sera exposé dans l’amphithéâtre ; et il déclare que son
intention est d’irriter et de provoquer les bêtes sauvages qui doivent être
l’instrument de sa mort

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