Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sujet des martyrs, on doit encore
l’avouer, les chrétiens, dans le cours de leurs dissensions intestines, se sont
causés les uns aux autres, de bien plus grands maux que ne leur en avait fait
éprouver le zèle des païens. Durant les siècles d’ignorance qui suivirent la
destruction de l’empire romain en Occident, les évêques de la ville impériale
étendirent leur domination sur les laïques aussi bien que sur le clergé de
l’Église latine. L’édifice de la superstition, qu’ils avaient élevé et qui
aurait pu défier longtemps les faibles efforts de la raison, fut enfin attaqué
par une foule de fanatiques audacieux, qui, depuis le douzième siècle jusqu’au
seizième, prirent, pour en imposer au peuple, le rôle de réformateurs. L’Église
de Rome défendit par la violence l’empire qu’elle avait acquis par la
fraude : des proscriptions, des guerres, des massacres, et l’institution
du saint office, défigurent bientôt un système de bienfaisance et de
paix ; et comme les réformateurs étaient animés par l’amour de la liberté
civile aussi bien que par celui de la liberté religieuse, les princes
catholiques lièrent leurs propres intérêts à ceux du clergé, et secondèrent,
par le fer et par le feu, les terreurs des armes spirituelles : dans les
Pays-Bas seuls, plus de cent mille files sujets de Charles-Quint furent livrés,
dit-on, à la main du bourreau. Ce nombre extraordinaire est consigné dans les
ouvrages de Grotius [1770] ,
homme de bien, célèbre par l’étendue de ses connaissances, qui conserva sa
modération au milieu des fureurs, des sectes ennemies, et qui composa les
annales de son siècle et de sa patrie dans un temps où l’invention de
l’imprimerie avait facilité les moyens de s’instruire, et augmentait le danger
d’être découvert lorsqu’on s’éloignait de la vérité. Si nous sommes obligés de
nous soumettre à l’autorité de Grotius, il faudra convenir que le nombre des protestants
exécutés dans une seule province, et sous un seul règne, surpassa de beaucoup
celui des premiers martyrs, qui, pendant une période de trois cents ans, et
dans la vaste étendue de la monarchie romaine, avaient subi le dernier
supplice. Mais, si l’improbabilité du fait l’emportait sur le témoignage ;
si Grotius était convaincu d’avoir exagéré le mérite et les souffrances des
réformés [1771] ,
ne serions nous pas en droit de demander, quelle confiance on peut avoir dans
les monuments douteux et imparfaits de la crédulité ancienne, et jusqu’à quel
point il est possible d’ajouter foi aux récits d’un évêque courtisan et d’un
déclamateur passionné, qui, sous la protection de Constantin, jouissaient du
privilège exclusif de décrire les persécutions infligées aux chrétiens par les
compétiteurs vaincus, ou par les prédécesseurs méprisés du souverain dont ils
possédaient la faveur ?
Chapitre XVII
Fondation de Constantinople. Système politique de Constantin et de ses
successeurs. De la discipline militaire. De la cour et des finances.
L’INFORTUNÉ Licinius est le dernier rival qui se soit
opposé, à la grandeur de Constantin, est le dernier captif qui ait orné son
triomphe. Après un règne heureux et tranquille, pendant lequel le conquérant
avait donné à ses peuples une capitale, une politique et une religion
nouvelles, il légua la possession de l’empire à sa famille ; et les innovations
qu’il avait établies ont été adoptées et conservées par une longue suite de
générations. Le siècle de Constantin le Grand et de ses fils est riche en
événements mémorables ; mais l’historien se perdrait dans leur nombre, et dans
leur variété s’il ne séparait pas avec soin ceux qui n’ont ensemble d’autre
rapport que celui de l’ordre des temps. Il exposera les institutions politiques
qui donnèrent de la force et de la stabilité à l’empire, avant d’entrer dans le
détail des guerres et des révolutions qui en hâtèrent le déclin. Il adoptera la
division inconnue aux anciens, d’affaires civiles et d’affaires
ecclésiastiques. Enfin, la victoire des chrétiens et leurs discordes intestines
présenteront tour à tour de nombreux objets d’édification et de scandale.
Après la défaite et l’abdication de Licinius, son rival
victorieux posa les fondements d’une ville destinée à devenir un jour la
maîtresse de l’Orient, et à survivre à l’empire et à la religion de son
fondateur. Les
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