Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Licinius avaient été un
temps de licence et de guerre civile. Les rivaux qui se disputaient l’empire du
monde romain, avaient retiré la plupart des troupes destinées à la défense des
frontières communes de l’empire, et les grandes villes situées sur les confins
de leurs États respectifs étaient remplies de soldats qui regardaient leurs
concitoyens comme leurs plus implacables ennemis. Quand la fin de cette guerre
civile eut rendu inutiles les garnisons intérieures, l’empereur n’eut pas assez
de sagesse ou de fermeté pour ramener la discipline sévère de Dioclétien, et
mettre un terme à la fatale indulgence dont l’habitude avait fait, pour l’ordre
militaire, un besoin et presque un droit. Depuis le règne de Constantin, il se
forma une distinction d’opinion et même une distinction légale entre les
troupes palatines [1903] ,
que l’on nommait improprement les troupes de la cour, et celles qui gardaient
les frontières. Les premières, fières de la supériorité de leur solde et de
leurs privilèges, excepté dans le cas d’une guerre extraordinaire, passaient
tranquillement leur vie au centre de l’empire, et les villes les plus
florissantes gémissaient sous l’intolérable oppression des quartiers
militaires. Les soldats perdaient insensiblement l’esprit de leur état, et
prenaient tous les vices de l’oisiveté, ou ils s’avilissaient par une industrie
basse et sordide, ou bien ils s’énervaient le corps et l’âme par les bains et
par les spectacles. Ils négligèrent bientôt les exercices militaires pour se
livrer à la parure et à la bonne chère : formidables pour leurs
concitoyens, ils tremblaient à la vue des Barbares [1904] . La chaîne de
fortifications que Dioclétien et ses collègues avaient tendue sur les bords des
grands fleuves, cessa d’être entretenue avec le même soin, et défendue avec la
même vigilance. Les troupes connues sous le nom de gardes des frontières auraient pu suffire à une défense ordinaire ; mais elles étaient découragées
par cette humiliante réflexion, que tandis qu’elles étaient exposées toute
l’année aux travaux et au danger d’une guerre continuelle, elles n’obtenaient
qu’environ les deux tiers de la paye et des émoluments qu’on prodiguait aux
troupes de la cour. Les bandes, les légions même qui jouissaient à peu près du
même sort que ces indignes favoris, se trouvaient dégradées par le titre
d’honneur qu’on accordait à ces derniers. Ce fut en vain que Constantin menaça
des plus cruels châtiments, par le fer et par le feu, ceux des gardes des
frontières qui abandonneraient leurs drapeaux, qui favoriseraient les incursions
des Barbares, ou qui partageraient leur butin [1905] . Les maux qui
résultent d’une politique imprudente, se réparent rarement par une sévérité
partielle, et quoiqu’une suite de princes aient fait, chacun dans leur temps,
tous leurs efforts pour recruter et ranimer les garnisons des frontières,
jusqu’au dernier moment de sa dissolution ; l’empire a souffert de la
blessure mortelle que lui avait faite l’imprudente faiblesse de Constantin.
Cette politique timide qui sépare tout ce qui est uni, qui
abaisse tout ce qui est élevé, qui craint toutes les facultés actives, et
n’attend d’obéissance que de la faiblesse, semble avoir dicté les institutions
de plusieurs monarques, et particulièrement celles de Constantin. L’orgueil
martial des légions, dont les camps victorieux avaient été si souvent le foyer
de la révolte, se nourrissait du souvenir de leurs anciens exploits, et du
sentiment de leurs forces présentes. Tant qu’elles conservèrent leur ancienne
composition de six mille hommes, chacune d’elles fut encore sous le règne de
Dioclétien un objet respectable dans l’histoire militaire de l’empire romain.
Peu d’années après, leurs corps nombreux furent réduits à très peu de
chose ; et quand sept légions, avec quelques auxiliaires, défendirent la
ville d’Amide contre les Perses, tout ce qui se trouvait renfermé dans la
place, en joignant à la garnison les habitants des deux sexes et les paysans
qui avaient déserté la campagne, n’excédaient pas le nombre de vingt mille
individus [1906] .
D’après ce fait et quelques autres du même genre, il y a lieu de croire que la
constitution des troupes légionnaires, à laquelle elles devaient en partie leur
valeur et leur discipline, fut changée par Constantin, et que
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