Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
troupes auxiliaires de leur nation, mais étaient encore
reçus dans les légions et parmi les plus distingués des troupes palatines.
Admis familièrement chez les citoyens ils apprenaient à mépriser leurs mœurs et
à imiter leurs arts ; ils secouèrent le respect que l’orgueil des Romains
n’avait dû qu’à leur ignorance, et ils acquirent la possession des avantages
qui soutenaient encore la grandeur expirante de leurs anciens maîtres. Les
soldats barbares distingués par des talents militaires, arrivaient aux postes
les plus importants, sans exception. Les noms des tribuns, des comtes, des ducs
et même des généraux, trahissent une origine étrangère que bientôt ils ne
daignèrent plus déguiser. On leur confiait souvent la conduite d’une guerre
contre leurs compatriotes, et, quoique la plupart préférassent les liens de la
fidélité à ceux du sang, quelques uns cependant furent ingrats, ou du moins
soupçonnés d’entretenir une correspondance criminelle avec les ennemis, d’encourager
leurs incursions, et de les épargner dans leur retraite. Le fils de Constantin
laissait gouverner son palais et ses camps par une faction puissante de Francs,
dont tous les membres, solidement et constamment unis entre eux, et avec leurs
compatriotes, regardaient un affront fait à un des leurs comme, une insulte
nationale [1915] .
Lorsque le tyran Caligula fut soupçonné de vouloir donner la robe de consul à
un candidat d’une espèce très extraordinaire, ce sacrilège aurait excite
presque autant de surprise, si, au lieu d’un cheval, le chef le plus noble de
la Germanie ou de la Bretagne avait été l’objet de son choix. Un intervalle de
trois siècles avait fait un changement si considérable dans les préjugés du
peuple, que Constantin fut approuvé des Romains, lorsqu’il donna à ses
successeurs l’exemple d’accorder les honneurs du consulat aux Barbares qui
méritaient par leurs talents et leurs services d’être classés dans le nombre
des Romains les plus distingués [1916] .
Mais comme ces hardis vétérans, qui avaient été élevés dans l’ignorance et dans
le mépris des lois, se trouvaient incapables d’exercer aucun emploi civil, les
facultés de l’esprit humain étaient enchaînées par l’irréconciliable séparation
des talents aussi bien que par celle des professions. Ces citoyens accomplis
des républiques grecque et romaine, dont le génie brillait également au
barreau, dans le sénat, dans les camps et dans les écoles, savaient écrire,
parler et agir avec la même énergie et la même habileté.
Indépendamment des magistrats et des généraux qui exerçaient
loin de la cour, l’autorité qu’on leur avait donnée sur les provinces ou sur
les armées, l’empereur accordait le rang d’ illustres à sept de ses plus
intimes serviteurs, auxquels il confiait la sûreté de sa personne, celle de ses
conseils et de ses, trésors. 1° L’intérieur du palais était gouverné par un
eunuque favori, qu’on nommait prœpositus ou préfet de la chambre
sacrée , où le prince reposait. Son devoir était d’accompagner l’empereur
dans ses conseils et dans ses parties de plaisir, d’être toujours prés de sa
personne, et de remplir prés de lui tous ces services domestiques qui ne
peuvent recevoir quelque éclat que de l’influence de la royauté. Sous un prince
digne de régner, le grand chambellan (car nous pouvons le nommer ainsi) n’était
qu’un serviteur utile et modeste ; mais un domestique adroit, à portée de
saisir tous les moments de confiance et d’oubli que présente la familiarité,
acquerra bientôt sur un esprit faible un ascendant que doivent rarement obtenir
l’austère sagesse et l’inflexible vertu. Les petits-fils dégénérés de Théodose,
invisibles à la nation, et méprisés de ses ennemis, élevèrent le préfet de leur
chambre au-dessus de tous les ministres du palais [1917] , et son
lieutenant même, le chef de cette pompeuse suite d’esclaves qui gardaient leur
maître, fut jugé digne de précéder les respectables proconsuls de la
Grèce et de l’Asie. La juridiction du chambellan s’étendait sur les comtes ou
surintendants chargés des deux emplois importants relatifs à la table
somptueuse du prince et à sa magnifique garde-robe [1918] . 2° La
principale administration des affaires publiques fût confiée à l’intelligence
et à l’activité du maître des offices [1919] : suprême magistrat du palais, il
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