Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
tacitement et même qui autorisaient
l’usage général de la torture. Tous les hommes de la classe des illustres ou des honorables , les évêques et leurs prêtres, les professeurs des
arts libéraux, les soldats et leurs familles, les officiers municipaux et leur
postérité jusqu’à la troisième génération, et tous les enfants au-dessous de
l’âge de puberté en étaient exempts [1940] .
Mais il s’introduisit une maxime fatale dans la nouvelle jurisprudence de
l’empire : le cas du crime de lèse-majesté, qui comprenait tous les délits
que la subtilité des gens de loi pouvait déduire d’une intention hostile envers le prince ou la république [1941] ,
suspendait tous les privilèges et réduisait toutes les conditions au même
niveau d’ignominie. Du moment où l’on mit la sûreté de l’empereur au dessus de
toutes les considérations de la justice et de l’humanité, l’âge le plus
vénérable et la plus tendre jeunesse se trouvèrent exposés aux plus cruelles
tortures : et les principaux citoyens du monde romain avaient toujours à
craindre qu’un vil délateur ne les dénonçât comme complices, et même comme
témoins d’un crime peut-être imaginaire [1942] .
Quelques terribles que puissent nous paraître ces maux, ils
ne tombaient que sur un petit nombre de sujets romains, dont les dangers
étaient, en quelque façon, compensés par les avantages de la nature ou de la
fortune qui les exposaient aux soupçons du monarque. Ce millions d’habitants
obscurs qui composent la masse d’un grand empire, ont moins à craindre de la
cruauté que de l’avarice de leur maître. Leur humble bonheur n’est troublé que
par l’excès des impositions qui, passant légèrement sur les citoyens opulents,
tombent en doublant de poids et de vitesse, sur la classe faible et indigente
de la société. Un philosophe ingénieux [1943] a calculé la mesure universelle des taxes publiques, par les degrés de
servitude et de liberté, et il essaie de soutenir que d’après une règle
invariable de la nature, on peut lever des tributs plus forts en proportion de
la liberté des sujets, et qu’on est forcé de les modérer à mesure que la
servitude augmente ; mais cette assertion, qui tendrait à adoucir le
tableau des misères qui suivent le despotisme, est au moins contredite par
l’histoire de l’empire romain, qui accuse les mêmes princes d’avoir en même
temps dépouillé le sénat de son autorité, et les provinces de leurs richesses.
Sans abolir les droits sur les marchandises, que l’acquéreur acquitte imperceptiblement
comme un tribut volontaire, Constantin et ses successeurs préférèrent une taxe
simple et directe, plus conforme au génie d’un gouvernement arbitraire [1944] .
Le nom et l’usage des indictions [1945] dont on se sert
pour fixer la chronologie du moyen âge, sont tirés d’une coutume relative aux
tributs romains [1946] .
L’empereur signait de sa main, et en caractères de couleur pourpre, l’édit
solennel, ou indiction , qu’on exposait publiquement dans la principale
ville de chaque diocèse, pendant les deux mois de juillet et d’août. Par une
liaison d’idées très naturelle, le nom d’ indiction fut donné à la mesure
du tribut qu’il ordonnait, et au temps de l’année fixé pour le paiement [1947] . Cette
estimation générale des subsides était proportionnée aux besoins réels et
imaginaires de l’État. Toutes les fois que la dépense excédait la recette, ou
que la recette rendait moins qu’elle n’avait été évaluée, on y ajoutait un
supplément de taxe sous le nom de superindiction , et le plus précieux
des attributs de la souveraineté était communiqué aux préfets du prétoire, à
qui, dans certaines occasions, on permettait de pourvoir aux besoins
extraordinaires et imprévus du service de l’État. L’exécution de ces lois,
dont, il serait trop fastidieux de suivre les détails compliqués, consistait en
deux opérations distinctes ; celle de réduire l’imposition générale et
particulière, et de fixer la somme que devaient payer chaque province, chaque
ville, et enfin chaque sujet de l’empire romain, et celle de recueillir les
contributions séparées des individus, des villes et des provinces, jusqu’à ce
que les sommes accumulées fussent versées dans les coffres de l’empereur. Mais
comme le compte était toujours ouvert entre le prince et le sujet, et que la
nouvelle demande venait avant que la
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