Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
avait suppléé à l’usage du fer dont ils manquaient, par l’invention
d’une cuirasse qui résistait à l’épée et au javelot. Elle était faite de corne
de cheval coupée en tranches minces et unies, posées avec soin les unes sur les
autres de la même manière que les écailles des poissons ou les plumes des
oiseaux, et cousues fortement sur une toile grossière, qu’ils portaient sous
leur vêtement [2012] .
Les armes offensives des Sarmates consistaient en un court poignard, une longue
lance, un arc fort pesant et un carquois rempli de flèches. Ils étaient réduits
à la nécessité de se servir d’os de poissons pour former les pointes de leurs
armes. L’usage de les tremper dans une liqueur vénéneuse, qui rendait les
blessures mortelles, indique assez les mœurs les plus barbares : un peuple
qui aurait eu quelque sentiment d’humanité aurait abhorré cette pratique
odieuse, et une nation instruite dans l’art de la guerre, aurait méprisé cette
ressource impuissante [2013] .
Lorsque ces sauvages sortaient de leur désert pour se livrer au pillage, leur
barbe touffue, leurs cheveux en désordre, les fourrures dont ils étaient
couverts de la tête aux pieds, et le maintien farouche qui annonçait la
férocité de leur âme, inspiraient l’horreur et l’épouvante aux habitants
civilisés des provinces romaines.
Le tendre Ovide, après une jeunesse passée dans les
jouissances du luxe et de la renommée fut exilé, sans espoir de retour, sur les
bords glacés du Danube, exposé presque sans défense à la fureur de ces monstres
du désert, et redoutant même que son ombre douce et délicate ne se trouvât un
jour confondue avec leurs mânes farouches. Dans ses lamentations pathétiques et
quelquefois trop efféminées [2014] ,
il décrit de la manière la plus animée l’habillement, les mœurs, las armes et
les incursions des Gètes et des Sarmates, qui avaient fait ensemble une
alliance de brigandage et de destruction. L’histoire nous donne lieu de penser
que les Sarmates étaient les descendants des Jazyges, la tribu la plus
nombreuse et la plus guerrière de cette nation. L’attrait de l’abondance leur
fit chercher un établissement fixe sur les frontières de l’empire. Peu de temps
après le règne d’Auguste, les Daces, qui vivaient de leur pêche sur le bords de
la Theiss ou Tibiscus, furent forcés de se retirer sur les hauteurs ; et,
d’abandonner aux Sarmates victorieux les plaines fertiles de la Haute Hongrie,
bornée par le Danube et la chaîne demi-circulaire des montagnes Carpathiennes [2015] . Dans cette
positions avantageuse, ils guettaient ou suspendaient le moment de leurs
attaques, selon qu’ils étaient où irrités par quelque injure, où apaisés par
les présents. Ils acquirent peu à peu l’usage d’armes plus meurtrières ; et
quoique les Sarmates n’aient pas illustré leur nom par des exploits mémorables,
ils secoururent souvent d’un corps nombreux d’excellente cavalerie, les Goths
et les Germains leurs voisins à l’orient et à l’occident [2016] . Ils vivaient
soumis à l’aristocratie irrégulière de leurs chefs ; mais il paraît que, quand
ils eurent reçu parmi eux un grand nombre de Vandales fugitifs que les Goths
avaient chassés devant eux, ils choisirent un roi de cette nation, et de
l’illustre race des Astingi, qui avaient d’abord habité sur les rivages de
l’océan Septentrional [2017] .
Ces motifs d’inimitié envenimèrent sans doute les
contestations qui ne peuvent manquer de s’élever souvent sur les frontières
entre deux nations guerrières et indépendantes. Les princes vandales étaient
excités par la crainte et par la vengeance, et les rois des Goths aspiraient à
étendre leur domination depuis l’Euxin jusqu’aux confins de la Germanie. Les
eaux du Maros, petite rivière qui se jette dans la Theiss, furent souvent
peintes du sang des Barbares. Après avoir éprouvé la supériorité du nombre et
des forces de leurs adversaires, les Sarmates implorèrent les secours du
monarque romain, qui voyait avec plaisir les discordes des deux nations, mais
à qui les progrès des Goths donnaient de justes inquiétudes. Dès que Constantin
se fut déclaré en faveur du plus faible, l’orgueilleux Alaric, roi des Goths,
au lieu d’attendre l’attaque les légions romaines, passa hardiment le Danube,
et répandit dans toute la province de Mœsie la terreur et la désolation. Pour
repousser l’invasion de cette
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