Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
fait que
changer un ennemi étranger contre un ennemi domestique, et plus dangereux et
plus implacable. Se rappelant avec fureur leur ancienne servitude, et s’animant
par la gloire qu’ils venaient d’acquérir, les esclaves, sous le nom de Limigantes ,
prétendirent à la possession du pays qu’ils avaient sauvé, et l’usurpèrent.
Leurs maîtres, trop faibles pour s’opposer aux fureurs d’une populace effrénée,
préférèrent l’exil à la tyrannie de leurs esclaves. Quelques Sarmates fugitifs
sollicitèrent une protection moins ignominieuse sous les étendards des Goths
leurs ennemis. Un nombre plus considérable se retira derrière les montagnes
Carpathiennes chez les Quades, peuple germain, leurs alliés, et ils furent
admis, sans difficulté à partager le superflu des terres incultes et inutiles.
Mais la plus grande partie de cette malheureuse nation tourna les yeux vers les
provinces romaines. Implorant l’indulgence et la protection de l’empereur, ils
promirent solennellement, comme sujets, en temps de paix, et comme soldats
à la guerre, la plus inviolable fidélité à l’empire daignait les recevoir dans
son sein. D’après les maximes adoptées par Probus, et par ses successeurs, les
offres de cette colonie barbare furent acceptées avec empressement, et l’on
partagea une quantité suffisante des terres des provinces de la Pannonie, de la
Thrace, de la Macédoine et de l’Italie, entre trois cent mille Sarmates
fugitifs [2019] .
En châtiant l’orgueil des Goths, et en acceptant l’hommage
d’une nation suppliante, Constantin assura la gloire de l’empire romain ; et
les ambassadeurs de l’Éthiopie, de la Perse et des pays les plus reculés de
l’Inde, le félicitèrent sur la paix et sur la prospérité de son règne [2020] . En effet, s’il
a compté la mort de son fils aîné, de son neveu et peut-être de sa femme, au
nombre des faveurs de la fortune, il a joui d’un cours continuel de félicité
publique et personnelle jusqu’à la trentième année de son règne ; avantage
dont, après l’heureux Auguste, n’avait pu se glorifier aucun de ses
prédécesseurs. Constantin survécût environ dix mois à cette fête solennelle, et
à l’âge de soixante-quatre ans, après une courte indisposition, termina sa
mémorable vie au palais d’Aquyrion, dans les faubourgs de Nicomédie, où il
s’était retiré à cause de la salubrité de l’air, et dans l’espérance de
ranimer, par l’usage des bains chauds, ses forcés épuisées. Les excessives
démonstrations de la douleur ou du moins du deuil public, surpassèrent tout ce
qui avait eu lieu jusqu’alors en pareille occasion. Malgré les réclamations du
sénat et du peuple de l’ancienne Rome, le corps du défunt empereur fut
transporté, selon ses ordres, dans la ville destinée à perpétuer le nom et la
mémoire de son fondateur. Orné des vains symboles de la grandeur, revêtu de la
pourpre et du diadème, il fut déposé sur un lit d’or dans un des appartements
du palais qu’on avait, à cette occasion, meublé et illuminé somptueusement. Les
cérémonies de la cour furent strictement observées ; chaque jour, à des heures
fixes, les grands officiers de l’État, de l’armée et du palais,
s’agenouillaient auprès de leur souverain, et lui offraient gravement leurs
respectueux hommages, comme s’il eût été encore vivant. Des raisons de
politique firent continuer pendant quelque temps cette représentation
théâtrale, et l’ingénieuse adulation ne négligea point l’occasion de dire que,
par une faveur particulière de la Providence, Constantin avait encore régné
après sa mort [2021] .
Mais ce prétendu règne n’était qu’une comédie ; et l’on
s’aperçut bientôt que le plus absolu des monarques fait rarement respecter ses
volontés dès que ses peuples n’ont plus rien à espérer de sa faveur ni à
craindre de son ressentiment. Les ministres et les généraux qui avaient plié le
genou devant les restes inanimés de leur souverain, s’occupaient secrètement
des moyens d’exclure ses neveux Dalmatius et Annibalianus de la part qu’il leur
avait assignée dans la succession de l’empire. Nous n’avons qu’une connaissance
trop imparfaite de la cour de Constantin, pour pénétrer les motifs réels qui
déterminèrent les chefs de cette conspiration ; à moins qu’on ne les suppose
animés d’un esprit de jalousie et de vengeance contre le préfet Ablavius,
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