Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
défense. Environ à minuit, vingt-trois jours après la
signature de la convention, Syrianus, duc d’Égypte, à la tête de cinq mille
soldats armés et préparés comme pour un assaut, investit inopinément l’élise de
Saint-Théonas, où l’archevêque, avec une partie de son clergé, célébrait, en
présence du peuple, des dévotions nocturnes. Les portes de l’édifice sacré
cédèrent à l’impétuosité de cette attaque, qui fut suivie de tout ce que
présentent de plus horrible le tumulte et le carnage ; mais les cadavres des
morts et les fragments d’armes brisées demeurés entre les mains des
catholiques, prouvèrent incontestablement, le lendemain, que l’entreprise
devait être considérée comme une irruption faite avec succès, plutôt que comme
une conquête définitive. Les autres églises de la ville furent profanées par
les mêmes violences ; et durant quatre mois, au moins, Alexandrie fût en proie
aux insultes d’une armée licencieuse, excitée par les ecclésiastiques du parti
opposé. Un grand nombre de fidèles perdirent la vie, et purent mériter le nom
de martyrs, s’ils n’ont pas provoqué leur sort, ou s’il n’a pas été vengé. Des
évêques et des prêtres essuyèrent les traitements les plus ignominieux. Des
vierges consacrées furent dépouillées, fustigées et violées. Les maisons des
riches citoyens furent pillées, et, sous le masque du zèle religieux, la
débauche, la cupidité, la haine et la vengeance, exercèrent leurs fureurs avec
impunité, et même avec éloge. Les païens d’Alexandrie, qui formaient encore un
parti nombreux et mécontent, consentirent sans peine à abandonner un évêque
qu’ils estimaient et redoutaient également. L’espérance de quelques grâces
particulières, et la crainte d’être enveloppés dans le châtiment de la révolte,
les engagèrent à promettre de soutenir le successeur désigné d’Athanase, le fameux
George de Cappadoce. L’usurpateur, après avoir été consacré dans le synode
arien, fut placé sur le siège archiépiscopal par le bras de Sébastien, nommé
comte d’Égypte pour exécuter cette expédition. Dans l’exercice comme dans
l’acquisition de sa puissance, George méprisa les lois de la religion, de la
justice et de l’humanité ; les scènes de scandale et de violence qui avaient eu
lieu dans la capitale se répétèrent dans plus de quatre-vingt-dix villes
épiscopales de l’Égypte. Constance, encouragé par ce succès, se hasarda enfin à
approuver la conduite de ses ministres. Il fit publier une lettre pleine de
violence, dans laquelle, après s’être félicité d’avoir délivré Alexandrie d’un
tyran dangereux qui séduisait le peuple par la magie de son éloquence, il
exalte les vertus et la piété du très vénérable George, le nouvel évêque, et
aspire, comme patron et bienfaiteur de la ville, à surpasser la gloire et la
renommée d’Alexandre. Mais il déclare l’inébranlable résolution de poursuivre
par le fer et le feu les adhérents d’Athanase, ce maudit qui a suffisamment
constaté ses forfaits en se dérobant à la justice et à la mort ignominieuse
qu’il a si souvent méritée [2440] .
Saint Athanase s’était mis à l’abri du danger le plus
pressant ; et les aventures de cet homme extraordinaire méritent de fixer un
instant notre attention. Dans la nuit fatale où Syrianus, à la tête de ses
troupes, avait investi l’église de saint Athanase, l’archevêque, assis sur son
siége, y attendait la mort avec une dignité calme et inébranlable. Tandis que
des cris de rage et de terreur interrompaient les cérémonies de la dévotion
publique, Athanase encourageait son clergé tremblant à exprimer sa pieuse
confiance par le chant d’un psaume de David qui célèbre le triomphe du Dieu
d’Israël sur le tyran impie de l’Égypte. Les portes furent enfin brisées, une
grêle de traits vint fondre sur le peuple [2441] .
Les soldats s’élancèrent l’épée à la main jusque dans le sanctuaire. Leurs
armes, frappées de la lumière des cierges qui brûlaient autour de l’autel,
réfléchissaient une effrayante clarté. Les prêtres pressaient l’archevêque de
sauver une vie qui leur était si précieuse ; mais le courageux prélat refusa de
quitter son siège avant qu’ils se fussent tous mis en sûreté. Le tumulte et
l’obscurité de la nuit favorisèrent sa fuite. Perçant avec peines une foule
effrayée qui l’écrasait, jeté à terre,
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