Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
adroitement cacher aux yeux perçants du soupçon un
commerce familier et solitaire entre un saint dont le caractère exigeait la
chasteté la plus pure et une jeune fille dont les charmes pouvaient exciter les
plus dangereuses émotions [2447] .
Durant six années d’exil et de persécution, Athanase rendit plusieurs visites à
sa belle et fidèle compagne ; et la déclaration formelle qu’il fait lui-même,
d’avoir vu les conciles de Rimini et de Séleucie, nous oblige à croire que dans
le temps de leur convocation, il se trouvait en secret au lieu où ils furent
rassemblés [2448] .
L’avantage de négocier en personne avec ses amis, d’observer et de fomenter les
divisions de ses adversaires, peut justifier, dans un politique habile,
l’audacieuse entreprise d’Athanase. Alexandrie, l’entrepôt du commerce et de la
navigation, entretenait des relations avec tous les ports de la Méditerranée.
Du fond de sa retraite inaccessible, l’intrépide primat faisait sans cesse une
guerre offensive au protecteur des ariens ; et ses écrits publiés à propos,
diligemment répandus et lus avec avidité, contribuaient à réunir et animer le
parti orthodoxe. Dans les apologies publiques qu’il adressait à l’empereur, il
affectait quelquefois de préconiser la modération, tandis que, se livrant
lui-même en secret aux plus violentes invectives, il représentait Constance
comme un prince faible et corrompu, le bourreau de sa famille, le tyran de la
république, et l’antéchrist de l’Église. Au faîte de la prospérité, le monarque
victorieux qui avait puni l’audace de Gallus et éteint la révolte de Sylvanus,
qui avait arraché le diadème du front de Vetranio et vaincu en bataille rangée
la formidable armée de Magnence, recevait d’une main invisible des blessures
qu’il ne pouvait ni guérir ni venger ; et le fils de Constantin fut le premier
des princes chrétiens qui éprouvât la force de ces principes qui, en matière de
religion, résistent aux plus puissants efforts de l’autorité civile [2449] .
La persécution de saint Athanase et de tant d’évêques
respectables qui ont souffert pour la cause de la vérité, ou du moins pour les
sentiments de leur conscience, enflammait de colère et d’indignation tous les
chrétiens qui m’étaient pas aveuglément dévoués à la faction de l’arianisme.
Les fidèles regrettaient la perte de leurs saints pasteurs, dont le bannissement
était ordinairement suivi de l’intrusion d’un étranger dans la chaire
pontificale [2450] .
Ils se plaignaient hautement de ce qu’on avait violé les droits d’élection, et
de ce qu’on les obligeait d’obéir à des usurpateurs mercenaires, dont la
personne leur édit inconnue et les principes suspects. Les catholiques avaient
deux moyens de prouver qu’ils ne participaient pas à l’hérésie de leur chef
ecclésiastique, en faisant une opposition publique, ou en se séparant
absolument de sa communion. Antioche donna l’exemple du premier, et le succès
en répandit l’usage dans toute la chrétienté. La doxologie ou hymne sacrée qui
célèbre la gloire de la sainte Trinité, est susceptible de beaucoup
d’inflexions très délicates ; mais très importantes, et la substance d’un symbole
orthodoxe ou hérétique peut s’exprimer par la différence d’une particule
copulative ou disjonctive. Flavius et Diodore, deux laïques dévots, actifs et
très attachés à la foi de Nicée, introduisirent des réponses alternatives et
une psalmodie plus régulière [2451] .
Sous leur conduite, un essaim de moines sortit du désert voisin ; des troupes
de chanteurs bien instruits remplirent la cathédrale d’Antioche. La gloire DU
PÈRE, DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT fut célébrée par un chœur général de voix
triomphantes [2452] ; et les catholiques insultèrent, par la pureté de leur doctrine, l’évêque
arien qui avait usurpé le siège du vénérable Eustathe. Le même zèle qui
inspirait ces chants engagea les membres les plus scrupuleux de l’Église
orthodoxe à former des assemblées particulières, qui furent gouvernées par des
prêtres jusqu’à ce que la mort de leur pasteur exilé permit d’en élire et d’en
consacrer un autre [2453] .
Les révolutions de la cour multipliaient le nombre des prétendants, et sous le
règne de Constance, deux, trois ou quatre évêques se disputèrent souvent le
gouvernement spirituel d’hune ville. Ils exerçaient leur juridiction
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