Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
à des distances seulement de cinq ou six milles, des maisons où l’on
avait soin d’entretenir quarante chevaux ; et au moyen de ces relais, on
pouvait faire environ cent milles par jour sur quelque route que ce fût [199] . Pour voyager
ainsi, il fallait être autorisé par l’empereur ; mais quoique ces postes
n’eussent été instituées que pour le service public, on permettait quelquefois
aux citoyens d’en faire usage pour leurs affaires particulières [200] .
La communication n’était pas moins libre par mer ; la
Méditerranée se trouvait renfermée dans les provinces de l’empire, et l’Italie
s’avançait en forme de promontoire au milieu de ce grand lac. En général les
gîtes de l’Italie ne présentent aux vaisseaux aucun abri assuré ; mais
l’industrie humaine avait réparé ce défaut de la nature. Le port artificiel
d’Ostie, creusé par les ordres de l’empereur Claude, à l’embouchure du Tibre,
était un des monuments les plus utiles de la grandeur romaine [201] . Il n’était
éloigné de Rome que de seize milles, et, avec un vent favorable, on pouvait
parvenir en sept jours aux colonnes d’Hercule ; et aborder en neuf ou dix
dans la ville d’Alexandrie en Égypte [202] .
xxPort d’Ostiexx
Quelques inconvénients que, soit avec justice, soit par un
simple goût de déclamation, on ait voulu attribuer à la trop grande étendue des
empires ; on ne peut disconvenir que la puissance de Rome n’ait eu, sous
quelques rapports, des effets avantageux au bonheur du genre humain ; et
cette même liberté de communications qui propageait les vices, propageait avec
une égale rapidité les perfectionnements de la vie sociale. Dans une antiquité
plus reculée, le globe présentait sur sa surface des parties bien
différentes : l’Orient, depuis un temps immémorial, était en possession du
luxe et des arts, tandis que l’Occident était habité par des Barbares grossiers
et belliqueux qui ou dédaignaient l’agriculture ou n’en avaient pas même la
moindre idée. A l’abri d’un gouvernement fixe et assuré, les productions dont
la nature avait enrichi des climats plus fortunés, et les arts d’industries
connues parmi des nations plus civilisées, furent portés dans les contrées
occidentales de l’Europe, et les habitants de ces contrées, encouragés par un commerce
libre et profitable, apprirent à multiplier les unes et à perfectionner les
autres. Il serait presque impossible de faire l’énumération de toutes les
plantes et de tous les animaux qui furent transportés en Europe de l’Asie et de
l’Égypte [203] :
nous ne parlerons que des principaux, persuadé qui ce sujet peut être utile, et
qu’il n’est pas indigne de la majesté de l’histoire.
I . Les fleurs, les herbes et les fruits, qui
croissent aujourd’hui dans nos jardins, sont, pour la plupart, d’extraction
étrangère, comme il paraît souvent par le nom qui leur a été conservé. La pomme
était une production naturelle de l’Italie, et lorsque les Romains eurent connu
le goût plus délicat de la pêche, de l’abricot, de la grenade, du citron et de
l’orange, ils donnèrent le nom de pomme a tous ces nouveaux fruits, et ne les
distinguèrent que par le nom du pays d’où ils avaient été transplantés.
II . Du temps d’Homère, la vigne croissait sans
culture en Sicile, et vraisemblablement dans le continent voisin ; mais
l’art ne l’avait pas perfectionnée, et les habitants de ces pays alors Barbares [204] , ne savaient
point en extraire une liqueur agréable. Mille ans après, l’Italie pouvait se
vanter de produire plus des deux tiers des vins les plus renommés, dont on
comptait quatre-vingts espèces différentes [205] .
Cette denrée précieuse passa bientôt dans la Gaule narbonnaise ; mais au
temps de Strabon, le froid était si excessif au nord des Cévennes que l’on
croyait impossible d’y faire mûrir le raisin [206] ;
cependant on surmonta par degrés cet obstacle, et il y a lieu de penser que la
culture des vignes en Bourgogne [207] est aussi ancienne que le siècle des Antonins [208] .
III . Dans l’Occident, la culture de l’olivier suivit
les progrès de la paix dont il était le symbole. Deux siècles après la
fondation de Rome, l’Italie, et l’Afrique ne connaissaient point cet arbre
utile. L’olivier fut bientôt naturalisé dans ces contrées, et enfin planté dans
l’intérieur de la Gaule et de l’Espagne. Les anciens
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