Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
son nom, ne violassent
à son égard, sans beaucoup de scrupule, les lois de l’hospitalité. Dans un
moment d’impatience et de désespoir, il s’embarqua sur un vaisseau marchand qui
cinglait pour Constantinople, et forma l’audacieux projet de s’élever au rang
de souverain, puisqu’on ne voulait pas le laisser jouir de la paix et de la
sécurité attachées à la condition de sujet. Après avoir rôdé furtivement dans
les villages de la Bithynie, changeant souvent de nom, d’habits et de retraite [2879] , il se hasarda
enfin à entrer dans la capitale, et à confier son sort et sa vie à la fidélité
de deux amis, un sénateur et un eunuque, qui lui donnèrent quelques espérances
fondées sur la situation des affaires publiques. Un esprit général de
mécontentement s’était répandu dans la masse des citoyens. On regrettait l’intelligence
et l’équité de Salluste, à qui Valens avait imprudemment ôté là préfecture de
l’Orient, et l’empereur se faisait généralement mépriser par une brutalité sans
vigueur, et par une faiblesse dépourvue d’humanité. Les peuples craignaient
l’influence de son beau-père le patricien Petronius, ministre avide et cruel,
qui exigeait rigoureusement tous les arrérages des tributs dus depuis le règne
de l’empereur Aurélien. Toutes les circonstances favorisaient les desseins d’un
usurpateur. Valens avait été appelé en Syrie par les dispositions hostiles des
Persans. Du Danube à l’Euphrate les soldats marchaient de tous côtés, et la
capitale était sans cessa remplie de troupes qui passaient ou repassaient le
Bosphore. Deux cohortes de Gaulois prêtèrent l’oreille en secret à ses
propositions que les conspirateurs avaient eu soin d’appuyer de la promesse
d’une forte gratification ; et leur vénération pour la mémoire de Julien le fit
aisément consentir à défendre les droits de son parent opprimé. Au point du
jour, ils se rangèrent en bataille près des bains d’Anastasie ; et Procope,
vêtu d’un habit de pourpre, plus convenable à un tribun qu’à un souverain,
parut, tout à coup, comme s’il se fût élève du fond du tombeau, au milieu de
Constantinople. Les soldats, préparés à le recevoir, saluèrent leur prince
tremblant par des cris de joie et des serments de fidélité. Leur nombré
s’accrut d’une bande de vigoureux et grossiers paysans rassemblés dans les
villages des environs, et Procope fut successivement conduit sous leur
protection, au tribunal, au sénat et au palais impérial. Durant les premiers
instants de ce règne tumultueux, le morne silence des citoyens surprit et
effraya l’usurpateur. Ils ignoraient la cause du tumulte ; ou ils en
craignaient l’événement. Mais la force militaire de Procope était supérieure à
tout ce qu’on pouvait lui opposer dans le moment. Les mécontents accouraient en
foule sous les drapeaux d’un rebelle ; les pauvres étaient attirés par l’espoir
d’un pillage général dont la crainte soumettait les riches, et l’incorrigible
crédulité de la multitude se laissait encore abuser par la promesse des
avantages qu’elle devait retirer d’une révolution.
On saisit les magistrats, on enfonça les prisons et les
arsenaux, on s’empara du port et des portes de la ville ; et dans peu d’heures
Procope se trouva, du moins pour le moment, maître absolu dans la capitale de
l’empire. Il profita avec assez d’adresse et de courage d’un succès qu’il avait
si peu espéré. Il fit répandre les bruits les plus favorables à ses intérêts,
et tandis qu’il trompait la populace par de fréquentes audiences données aux
ambassadeurs imaginaires des nations les plus éloignées, les corps d’armée
postés dans les villes de la Thrace et dans les forteresses du Bas-Danube, se
laissaient insensiblement entraîner dans la révolte. Les princes des Goths
fournirent au souverain de Constantinople le secours formidable de plusieurs
milliers d’auxiliaires. Ses généraux passèrent le Bosphore, et soumirent sans
effort les provinces riches et désarmées de l’Asie et de la Bithynie. Après une
défense honorable, la ville et l’île de Cyzique se rendirent à ses armes. Les
légions renommées des Joviens et des Herculiens embrassèrent la cause de
l’usurpateur, qu’elles devaient anéantir ; et comme les vétérans étaient
sans cesse recrutés par des levées nouvelles, Procope parut bientôt à la tête
d’une armée dont la force et la valeur
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