Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
n’étaient point au- dessous de son
entreprise. Le fils d’Hormisdas [2880] ,
jeune prince plein de valeur et d’habileté, consentit à se déclarer contre le
souverain légitime de l’Orient, et l’usurpateur le revêtit sur-le-champ des
pouvoirs extraordinaires accordés aux anciens proconsuls romains. Faustine,
veuve de l’empereur Constance, épousa Procope, et lui confia sa personne, et
celle de sa fille : cette auguste alliance illustra le parti des rebelles,
et le rendit plus respectable aux yeux du peuple. La princesse Constantia, âgée
d’environ cinq ans, suivait dans une litière la marche de l’armée ; son père
adoptif parcourait les rangs en la portant dans ses bras, et à sa vue les
soldats attendris sentaient redoubler leur fureur guerrière [2881] . Ils se
retraçaient la gloire de la maison de Constantin, et juraient de défendre
jusqu’à la dernière goutte de leur sang le tendre rejeton de cette race royale [2882] .
Cependant des avis incertains de la révolte d’Orient étaient
venus alarmer et troubler Valentinien. Une guerre contre les Germains le
forçait à s’occuper principalement de la sûreté de ses propres États, et des
bruits vagues augmentaient son anxiété. Les ennemis s’étaient emparés de toutes
les communications ; et faisaient adroitement répandre que la défaite et la
mort de Valens avaient rendu Procope paisible possesseur de toutes les
provinces de l’Orient. Valens n’était pas mort ; mais, en apprenant à Césarée
la première nouvelle de la révolte, il désespéra lâchement de sa fortune et de
sa vie, proposa de traiter avec l’usurpateur, et n’eut pas honte d’avouer le
dessein d’abdiquer la pourpre et l’empire. Ses ministres, par leur fermeté,
sauvèrent leur timide monarque de la ruine et du déshonneur, et leur habileté
tourna bientôt en sa faveur les événements à la guerre. Dans un temps de paix,
Salluste avait quitté son emploi sans murmure ; mais dès que la sûreté publique
fût attaquée, sa noble ambition redemanda la première part dans les travaux et
les dangers ; et le rétablissement de ce vertueux ministre dans la préfecture
d’Orient, fit, pour le peuple satisfait, le premier indice du repentir de
Valens. Procope semblait commander à des provinces soumises et à de puissantes
armées ; mais la plupart des principaux officiers civils et militaires, soit
qu’ils fussent conduits par le devoir ou l’intérêt, avaient abandonné un parti
coupable, s’étaient retirés du tumulte de la révolte, ou épiaient le moment de
trahir l’usurpateur. Lupicinus accourait à marches forcées avec les légions de
Syrie au secours de Valens. Arinthæus, qui pour la force, la valeur et la
beauté, surpassait tous les héros de son temps, attaqua, avec une troupe peu
nombreuse, un corps de rebelles supérieur en forces, quand il reconnut parmi
eux les soldats qui avaient servi sous ses drapeaux, il leur commanda, d’une
voix forte, de saisir et de lui livrer leur prétendu commandant ; et tel était
l’ascendant de son caractère, qu’ils obéirent sans hésiter à son extraordinaire
commandement [2883] .
Arbetio, respectable vétéran du grand Constantin, qui avait été décoré des
honneurs du consulat, se laissa gagner, quitta sa retraite et accepta le
commandement d’une armée. Dans le fort du combat, il ôta son casque d’un air
calme ; et, découvrant sa figure vénérable et ses cheveux blancs, salua avec
tendresse les soldats de Procope, en les appelant ses enfants et ses compagnons
; il les exhorta à ne pas partager plus longtemps le crime d’un usurpateur
méprisable, et à se réunir au vieux général qui les avait si souvent conduits à
l’honneur e à la victoire. Les troupes du malheureux Procope, séduites par les
conseils et par l’exemple de leurs perfides officiers, l’abandonnèrent dans les
deux combats de Thyatire [2884] et de Nacosie. Après avoir errer quelque temps dans les bois et les montagnes
de Phrygie, il fut trahi par ses compagnons découragés, qui le traînèrent dans
le camp impérial, où on lui abattit sur-le-champ la tête. Procope partagea le
sort ordinaire des usurpateurs vaincus ; mais les horribles cruautés que son
vainqueur exerça sous les formes de la justice firent naître dans tous les
cœurs l’indignation et la pitié [2885] .
Telles sont à la vérité les suites naturelles et ordinaires
du despotisme et de la révolte. Mais on regarda comme le symptôme
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