Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
de pitié, qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour s’opposer à
la fuite ou à la résistance, de la multitude des prisonniers qu’on y entassât.
Les amendes et les confiscations ruinaient les familles les plus opulentes. Les
citoyens les plus innocents tremblaient pour leur vie ; et nous pouvons nous
faire une idée de l’excès du mal par l’assertion exagérée d’un ancien écrivain,
qui prétend que dans les provinces exposées à la persécution, plus de la moitié
des habitants se trouvaient prisonniers ou fugitifs [2895] .
Lorsque Tacite décrit la mort des citoyens illustres et
innocents que les premiers. Césars sacrifièrent à leur vengeance ; l’éloquence
de l’historien ou le mérite des victimes nous font éprouver vivement les
sentiments de la pitié, de la terreur et de l’admiration. Ammien, écrivain sans
goût et sans délicatesse, a dessiné ses tableau sanglants avec une exactitude
fastidieuse et rebutante et notre attention n’étant plus soutenue par le
contraste de la servitude et de la liberté, de la grandeur récente et de la
misère du moment ; nous détournerons les yeux avec horreur de la multitude
d’exécutions qui déshonorèrent à Rome et à Antioche les règnes des deux
empereurs [2896] .
Valens était très timide [2897] ,
et Valentinien emporté [2898] .
Valens avait pour premier principe d’administration de tout
sacrifier au soin de sa sûreté personnelle. Confondu parmi les sujets, il eût
baisé en tremblant la main d’un oppresseur. Placé sur le trône, il dut penser
que les mêmes craintes qui eussent subjugué son âme étaient propres à lui
assurer la patiente soumission de son peuple. Les favoris de Valens obtenaient,
par ce qu’il leur permettait de rapines et de confiscations, des richesses que
leur aurait refusées son économie [2899] : ils employaient leur éloquence à lui persuadé que dans les’ cas de crime et
de lèse-majesté les soupçons équivalaient à une preuve, que la faculté de se
rendre criminel en supposait l’intention ; que l’intention était aussi
punissable que l’action ; et que tout citoyen méritait la mort dès que sa vie
menaçait la sûreté ou troublait le repos de son souverain. On trompait souvent
Valentinien, on abusait de sa confiance ; mais le sourire du mépris aurait
imposé silence aux délateurs s’ils avaient entrepris d’effrayer son courage par
le bruit d’un danger. Ils vantaient son inflexible amour pour la justice ;
mais, dans sa passion pour la justice Valentinien était souvent tenté de
regarder la clémence comme une faiblesse, et la colère comme une vertu. Dans le
temps où il luttait avec ses égaux dans la périlleuse carrière d’une vie active
et ambitieuse, il avait rarement souffert une injustice sans la punir, jamais une
insulte. On blâmait son imprudence, mais on applaudissait à son courage, et les
généraux les plus fiers et les plus absolus craignaient d’allumer le
ressentiment d’un soldat inaccessible à la crainte. Il oublia, malheureusement
sûr le trône du monde que le courage n’a pas d’emploi là où l’on n’a point de
résistance à craindre. Au lieu d’écouter la voix de la raison et de la
générosité, il se livrait à des violences désormais déshonorantes pour lui, et
fatales aux impuissants objets de ses ressentiments. Dans l’administration de
sa maison et dans celle de son empire, une faute légère, une offense
imaginaire, une réponse vive, une omission accidentelle ou un délai
involontaire, étaient immédiatement punis par une sentence de mort ; et les
expressions les plus promptes à sortir de la bouche de l’empereur d’Occident
étaient celles-ci : Qu’on lui tranche la tête, qu’on le brûle vif, qu’il
expire sous le bâton [2900] .
Ses plus intimes favoris s’aperçurent bientôt qu’en hasardant d’éluder ou même
de suspendre l’exécution de ses ordres sanguinaires, ils couraient risque de
partager le crime et le châtiment de .là désobéissance. A force de satisfaire
sa féroce justice, Valentinien endurcit son âme contre les remords et contre la
pitié ; et l’habitude de la cruauté vint rendue plus implacables les
emportement de sa colère il pouvait, contempler avec une tranquille
satisfaction les agonies convulsives de la torture et de la mort ; et son
amitié était le prix réservé à la fidélité de ceux de ses serviteurs dont le
caractére lui semblait analogue au sien. Maximin répandit à Rome le
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