Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
et leur grand-prêtre
portait le nom de Sinistus . La personne du grand-prêtre était sacrée, et
sa dignité perpétuelle ; mais le roi n’exerçait qu’une autorité très précaire.
Si le malheur des événements de la guerre semblait accuser le roi, d’un défaut
de courage ou de conduite, il était sur-le-champ déposé. L’injustice de ses
sujets allait jusqu’à le rendre responsable de la fertilité de la terre et de
la régularité des saisons, qui semblent plutôt appartenir au département
sacerdotal [2940] .
Les Allemands et les Bourguignons avaient ces contestations fréquentes sur la
possession de quelques marais salants [2941] : les derniers se laissèrent facilement tenter par les sollicitations, secrètes
et par les offres libérales de l’empereur. L’origine fabuleuse qui les faisait
descendre des soldats romains, employés à la garde des forteresses de Drusus,
fut adoptée de part et d’autre avec une crédulité d’autant plus docile, que
cette opinion favorisait leur intérêt mutuel [2942] . Une armée de
quatre-vingt mille Bourguignons ne tarda pas à paraître sur les bords du Rhin,
et réclama impatiemment le secours et les subsides promis par Valentinien ;
mais l’empereur prétexta des excuses et des délais jusqu’au moment où, après
une attente infructueuse, ils furent contraints de se retirer. Les forteresses
et les garnisons du Rhin mirent les frontières de la Gaule à l’abri de leur
juste ressentiment, et le massacre qu’ils firent de leurs prisonniers servit du
moins à envenimer encore la haine héréditaire des Bourguignons et des
Allemands. Peut-être l’inconstance qu’on remarque, ici dans la conduite d’un prince
aussi sage que Valentinien, s’explique-t-elle par quelque changement survenu
dans les circonstances. Son dessein avait été probablement d’intimider les
Allemands, et non pas de les écraser puisque la destruction de l’une ou de
l’autre de ces deux nations aurait détruit la balance qu’il voulait conserver,
en les contenant l’une par l’autre. L’un des princes allemands, Macrianus, qui,
avec un nom romain, avait acquis les talents militaires et ceux du
gouvernement, avait mérité sa haine et son estime. L’empereur lui-même, à la
tête d’un corps de troupes lestes et légèrement armées, daigna, pour le
poursuivre, passer le Rhin, et s’avancer jusqu’à cinquante milles dans le pays
; il se serait inévitablement saisi de Macrianus, si l’impatience des soldats
n’avait rompu ses sages mesures. Ce prince allemand fut admis depuis à
l’honneur d’une conférence particulière avec l’empereur, et les faveurs qu’il
en reçut, en firent jusqu’à sa mort un fidèle et sincère allié des Romains [2943] .
Les fortifications de Valentinien défendaient l’intérieur du
continent ; mais les côtes maritimes de la Gaule et de la Grande-Bretagne
étaient toujours exposées aux ravages des Saxons. Ce nom célèbre, qu’un
sentiment national doit nous rendre cher a échappé à l’attention de Tacite ;
et, dans les cartes de Ptolémée, cette nation n’occupe que le col resserré de
la péninsule cimbrique, et les trois petites îles vers l’embouchure de l’Elbe [2944] . Ce territoire
étroit, aujourd’hui le duché de Schleswig, ou peut-être de Holstein, n’aurait
pas pu fournir les inépuisables essaims de Saxons qui régnèrent sur l’Océan,
remplirent la Grande-Bretagne de leur langage, de leurs lois et de leurs
colonies, et défendirent si longtemps la liberté du Nord contre les armées de
Charlemagne [2945] .
On aperçoit aisément la solution de cette difficulté dans la ressemblance des
mœurs et de la constitution incertaine des tribus de l’Allemagne, qui se
trouvaient confondues ensemble par les moindres événements de guerre ou
d’alliance. La position des véritables Saxons les encouragea à. embrasser les
professions périlleuses de pêcheurs et de pirates ; et le succès de leurs
premières entreprises excita naturellement l’émulation des plus braves de leurs
compatriotes, qui se déplaisaient dans la triste solitude des montagnes et des
forêts. Chaque marée pouvait descendre sur l’Elbe des flottes de canots remplis
d’intrépides guerriers, avides de contempler le vaste Océan, et de gendre part
aux richesses et aux jouissances d’un monde qui leur était inconnu. Il parait
probable cependant que les nations qui habitaient le long des côtes de la mer
Baltique, fournissaient aux
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