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Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Titel: Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edward Gibbon
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déclara l’ennemie de la vertu et du
talent.
    Tant que ces monstres tinrent les rênes de l’État, deux
circonstances particulières vinrent encore augmenter la servitude des Romains,
et rendirent leur position bien plus affreuse que celle des victimes de la
tyrannie dans tout autre siècle et dans toute autre contrée : l’une était
le souvenir de leur ancienne liberté, l’autre l’étendue de la monarchie. Ces
causes produisirent la sensibilité excessive des opprimés, et l’impossibilité
où ils se trouvaient d’échapper aux poursuites de l’oppresseur.
    I . Lorsque la Perse était gouvernée par les
descendants de Sefi, princes barbares, qui faisaient leurs délices de la
cruauté et dont le divan, le lit et la table, étaient tous les jours teints du
sang de leurs favoris, on rapporte le mot d’un jeune seigneur, qui disait ne
sortir jamais de la présence du monarque sans essayer si sa tête était encore
sur ses épaules. Une expérience journalière justifiait le scepticisme de Rustan [288]  ; cependant
il parait que la vue de l’épée fatale ne troublait point son sommeil, et
n’altérait en aucune manière sa tranquillité : il savait que le regard du
souverain pouvait le faire rentrer dans la poussière ; mais un éclat de la
foudre, une maladie subite, n’étaient pas moins funestes ; et c’était se
conduire en homme sage, que d’oublier les maux inévitables attachés à la vie
humaine pour jouir des heures fugitives. Rustan se glorifiait d’être appelé
l’esclave du roi. Vendu peut-être par des parents obscurs dans un pays qu’il n’avait
jamais connu, il avait été élevé dans la discipline sévère du sérail [289]  ; son nom,
ses richesses, ses honneurs étaient autant de présents d’un maître qui pouvait,
sans injustice les lui retirer. L’éducation qu’il avait reçue, loin de détruire
ses préjugés, les imprimait plus fortement dans son âme ; la langue qu’il
parlait n’avait de mot pour exprimer une constitution, que celui de monarchie
absolue. Il lisait dans l’histoire de l’Orient, que cette forme de gouvernement
était la seule que les hommes eussent jamais connue [290] . L’Alcoran et
les commentaires sacrés de ce livre divin lui enseignaient que le sultan
descendait du grand prophète, et tenait son autorité du ciel même ; que la
patience était la première vertu d’un musulman et qu’un sujet devait à son
souverain une obéissance sans bornes
    C’était d’une manière bien différente que les Romains
avaient été préparés pour l’esclavage : courbés sous le poids de leur propre
corruption, asservis par la violence militaire, ils conservèrent longtemps les
sentiments ou du moins les idées de leurs fibres ancêtres. L’éducation
d’Helvidius et de Thrasea, de Pline et de Tacite, était la même que celle de
Cicéron et de Caton. Les sujets de l’empire avaient puisé dans la philosophie
des Grecs les notions les plus justes et les plus sublimes sur la dignité de la
nature humaine et sur l’origine de la société civile. L’histoire de leur pays
leur inspirait une vénération profonde pour cette république dont la liberté,
les vertus et les triomphes, avaient été si célèbres. Pouvaient-ils ne pas
frémir au récit des forfaits heureux de César et d’Auguste ? Comment
n’auraient-ils pas méprisé intérieurement ces tyrans, auxquels ils étaient
obligés de prostituer l’encens le plus vil ? Comme magistrats et comme
sénateurs, ils étaient admis dans ce conseil auguste qui avait autrefois donné
des lois à l’univers ; qui jouissait du privilège de confirmer les décrets
du monarque, et qui faisait indignement servir sa puissance aux entreprises
méprisables, du despotisme. Tibère et les empereurs qui marchèrent sur ses
traces, cherchèrent à couvrir leurs forfaits du voile de la justice : peut-être
goûtaient-ils un plaisir secret à rendre le sénat complice aussi bien que
victime de leur cruauté. On vit dans ce sénat les derniers des  Romains,
condamnés pour des crimes imaginaires et pour des vertus réelles : leurs
infâmes accusateurs prenaient le langage de zélés patriotes, qui auraient cité
devant le tribunal de la nation un citoyen dangereux. Un service aussi
important était récompensé par les richesses et par les honneurs [291] . Des juges
serviles prétendaient ainsi rendre hommage à la majesté de la république,
violée dans la personne de son premier magistrat [292]  :

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