Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
libéralités excessives,
une mort prématurée vint tout à coup arracher de ses bras le nouveau César [276] . Ælius-Verus
laissait un fils ; Adrien le confia à la reconnaissance des Antonins. Ce
jeune prince fait adopté par Antonin le Pieux, et partagea dans la suite avec
Marc-Aurèle la dignité impériale. Parmi tous ses vices, il possédait une seule
vertu, c’était une déférence aveugle pour la sagesse de son collègue : il
lui abandonna volontairement les soins pénibles du gouvernement. L’empereur
philosophe ferma les yeux sur la conduite de Verus, pleura sa mort, et jeta un
voile sur sa mémoire.
Adrien venait de satisfaire sa passion. Lorsque toutes ses
espérances furent évanouies, il résolut de mériter la reconnaissance de la
postérité, en plaçant sur le trône de Rome le mérite le plus éminent : son
œil pénétrant démêla facilement, dans la foule de ses sujets, un sénateur âgé
de cinquante ans environ, dont toute la vie avait été irréprochable, et un
jeune homme de dix-sept ans, dont la sagesse annonçait le germe des vertus qui
devaient se développer, dans la suite, avec tant d’éclat. Le premier fut
déclaré fils et successeur d’Adrien, à condition toutefois qu’il adopterait
aussitôt le plus jeune ; et les deux Antonins (car c’est d’eux que nous
parlons) gouvernèrent le monde pendant quarante-deux ans avec le même esprit de
modération et de sagesse.
Antonin le Pieux avait deux fils [277] ; mais il
préférait Rome à sa famille [278] .
Après avoir donné sa fille Faustine en mariage au jeune Marcus, il engagea le
sénat à lui accorder les dignités de proconsul et de tribun ; enfin,
s’élevant noblement au-dessus de toute, jalousie, ou plutôt incapable d’en
ressentir, il l’associa, par un noble désintéressement à tous les travaux de
l’administration. De son côté, Marc-Aurèle respecta son bienfaiteur, le chérit
comme un père, et lui obéit comme à son souverain [279] ; et
lorsqu’il tint seul les rênes de l’État, il s’empressa de marcher sur ses
traces, et d’adopter les maximes d’un si grand prince. Ces deux règnes sont
peut-être la seule période de l’histoire, dans laquelle le bonheur d’un peuple
immense ait été l’unique objet du gouvernement.
C’est avec raison que Titus-Antonin a été nommé second Numa.
Le même zèle pour la religion, la justice et la paix, caractérisait ces deux
princes nais la situation de l’empereur ouvrait un champ bien plus vaste à ses
vertus. Les soins de Numa se bornaient a empêcher les habitants grossiers de
quelques villages de piller les campagnes, et de détruire la récolte de leurs
voisins. Antonin maintenait l’ordre et la tranquillité dans la plus grande
partie de la terre. Son règne a le rare avantage de ne fournir qu’un très petit
nombre de matériaux à l’histoire, ce tableau effrayant des crimes, des forfaits
et des malheurs du genre humain. C’était un homme aimable autant que bon dans
sa vie privée ; sa vertu simple et naturelle fuyait la vanité et
l’affectation. Il jouissait avec modération des avantages attachés à son rang
et, au milieu des plaisirs innocents [280] qu’il partageait avec ses concitoyens, la sensibilité de cette âme bienfaisante
se peignait, avec une douce majesté, sur un front toujours serein.
La vertu de Marc-Aurèle Antonin paraissait plus austère et
plus travaillée [281] .
Elle était le fruit de l’éducation, d’une étude profonde et d’un travail
infatigable. A l’âge de douze ans, il embrassa le système rigide des stoïciens,
dont les préceptes lui apprirent à soumettre son corps à son esprit, à faire
usage de sa raison pour enchaîner ses passions, à considérer la vertu comme le
bien suprême, le vice comme le seul mal, et tous les objets extérieurs comme
des choses indifférentes [282] .
Les Méditations de Marc-Aurèle, ouvrage composé dans le tumulte des
camps, sont venues jusqu’à nous. Il a même daigné quelquefois donner des leçons
de philosophie avec plus de publicité peut-être qu’il ne convenait à la
modestie d’un sage et à la dignité d’un empereur [283] ; mais en
général sa vie est le commentaire le plus noble qui ait jamais été fait des
principes de Zénon. Sévère pour lui-même, Marc-Aurèle était rempli d’indulgence
pour les faiblesses des autres ; il distribuait également la justice; et
se plaisait à répandre ses bienfaits sur tout le genre
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