Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
licence.
Vespasien, né dans l’obscurité, ne tirait aucun lustre de ses ancêtres :
son aïeul avait été soldat, et son père possédait un emploi médiocre dans les
fermes de l’État [270] .
Le mérite de ce prince l’avait fait parvenir à l’empire dans un âge
avancé : ses talents avaient plus de solidité que d’éclat, ses vertus même
étaient obscurcies par une sordide parcimonie. Il importait donc à l’intérêt de
ce monarque de s’associer un fils dont le caractère aimable et brillant pût
détourner les regards du public de l’obscure origine de la maison Flavienne
pour les reporter sur la gloire qu’elle semblait promettre. Sous le règne de Titus,
l’univers goûta les douceurs d’une félicité passagère ; et le souvenir de
ce prince adorable fit supporter pendant plus de quinze ans les vices de son
frère Domitien.
Dès que Nerva eut été revêtu de la pourpre que lui offrirent
les meurtriers de Domitien, il s’aperçut que son grand âge le rendait incapable
d’arrêter le torrent des désordres publics, qui s’étaient multipliés sous la
longue tyrannie de son prédécesseur [année 96]. Les gens de bien respectaient
sa vertu ; mais les Romains dégénérés avaient besoin d’un caractère ferme,
dont la justice imprimât la terreur dans le cœur des coupables. Nerva ne fut
point déterminé dans son choix par des vues personnelles. Quoique environné de
parents, il adopta un étranger, Trajan, âgé pour lors de quarante ans, et qui
commandait une grande armée dans la Basse Germanie. Ce général fut aussitôt
déclaré par le sénat collègue et successeur du prince [271] . Quand
l’histoire nous a fatigués du récit des crimes et des fureurs de Néron, combien
devons-nous regretter de n’avoir, pour connaître les actions brillantes de
Trajan, que le récit obscur d’un abrégé, ou la lumière douteuse d’un
panégyrique ! Il existe cependant à la gloire de ce prince un autre panégyrique
que la flatterie n’a point dicté : deux cent cinquante ans environ après sa
mort le sénat, au milieu des acclamations ordinaires qui retentissaient à
l’avènement d’un nouvel empereur, lui souhaita de passer, s’il était possible,
Auguste en bonheur, et Trajan en vertus [272] .
Selon toutes les apparences, un monarque qui chérissait si
tendrement sa patrie dut longtemps hésiter à revêtir de la puissance souveraine
son neveu Adrien, dont le caractère singulier ne lui était pas inconnu. Mais
l’artifice de l’impératrice Plotine sut fixer l’irrésolution de Trajan dans ses
derniers moments : peut-être supposa-t-elle hardiment une fausse adoption [273] . Quoi qu’il en
soit, il eût été dangereux d’approfondir la vérité : ainsi Adrien fut reconnu
paisiblement dans tout l’empire. Nous avons déjà parlé de la prospérité de
l’État sous son règne. Ce prince encouragea les arts, réforma les lois ,
resserra les liens de la discipline militaire, et parcourut lui-même toutes les
provinces. Son génie vaste et actif embrassait également les vues les plus
étendues et les plus petits détails de l’administration ; mais la vanité
et la curiosité furent ses passions dominantes. Comme elles étaient sans cesse
excitées par une foule d’objets différents, on aperçut tour à tour dans Adrien
un prince excellent, un sophiste ridicule, et un tyran jaloux de son autorité.
En général sa conduite avait pour base une modération et une équité bien
recommandables. Cependant il fit mourir, dans les premiers jours de son règne,
quatre sénateurs consulaires, ses ennemis personnels, et qui avaient parti
dignes de l’empire. Tourmenté sur la fin de sa vie par une maladie longue et
douloureuse, il devint farouche et cruel ; le sénat ne savait même s’il
devait le placer au rang des dieux, ou le confondre parmi les tyrans ; et les
honneurs rendus à la mémoire ne furent accordés qu’aux vives sollicitations
d’Antonin le Pieux [274] .
Adrien ne consulta d’abord qu’un caprice aveugle pour le
choix de son successeur. Après avoir jeté les yeux sur plusieurs citoyens d’un
mérite distingué, qu’il estimait et qu’il haïssait, il adopta Ælius Varus, jeune
seigneur livré au plaisir, dont la grande beauté était une recommandation
puissante auprès de l’amant d’Antinoüs [275] .
Mais tandis que l’empereur s’applaudissait de son choix et des acclamations des
soldats dont il avait obtenu le consentement par des
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