Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
l’orgueilleux
ministre pouvait apercevoir les premiers symptômes de sa disgrâce prochaine. On
avait applaudi à la résistance courageuse de Lampadius ; et le sénat, qui
s’était depuis longtemps résigné si patiemment à la servitude, rejetait avec
dédain l’offre d’une liberté honteuse et imaginaire. Les troupes qui, sous le
nom de légions romaines, en possédaient encore les privilèges, voyaient avec
colère la prédilection de Stilichon pour les Barbares, et le peuple dégénéré
imputait à la pernicieuse politique du ministre, des malheurs, suite naturelle
de sa propre lâcheté. Cependant Stilichon aurait pu braver encore les clameurs
du peuple, et même des soldats, s’il eût pu conserver son empire sur l’esprit
de son faible pupille ; mais le respectueux attachement d’Honorius s’était
changé en crainte, en soupçons et en haine. Le perfide Olympius [3517] , qui cachait
ses vices sous le masque de la piété chrétienne, avait sourdement déchiré le
bienfaiteur dont il tenait la place honorable qu’il occupait dans le palais
impérial. L’indolent Honorius, qui accomplissait sa vingt-cinquième année,
apprit d’Olympius, avec étonnement, qu’avec le nom d’empereur il n’en possédait
ni l’autorité, ni la considération. Le rusé courtisan alarma adroitement la timidité
de son maître par une peinture animée des desseins de Stilichon, qui méditait
disait-il, la mort de son souverain, dans l’espérance de placer le diadème sur
la tête de son fils Eucherius. Le nouveau favori engagea l’empereur à prendre
le ton de l’indépendance et de la dignité ; et le ministre vit avec surprise la
cour et le conseil former en secret des desseins opposés à ses intérêts ou à
ses intentions. Au lieu de fixer sa résidence dans le palais de Rome, Honorius
déclara qu’il voulait retourner dans l’asile plus sûr de la forteresse de
Ravenne. Dés qu’il apprit la mort de son frère Arcadius, il résolut de partir
pour Constantinople, et d’administrer, en qualité de tuteur, les provinces de
Théodose encore dans l’enfance [3518] .
Des représentations sur les dépenses et sur la difficulté de cette expédition
lointaine ré primèrent cette étrange saillie d’activité ; mais il demeura
inébranlable dans le périlleux projet de se montrer aux troupes du camp de
Pavie entièrement composées de légions romaines, ennemies de Stilichon et de
ses auxiliaires barbares. L’habile et pénétrant Justinien, célèbre avocat de
Rome et confident du ministre, pressa son protecteur d’empêcher un voyage si
dangereux pour sa gloire et pour sa sûreté ; mais les inutiles efforts de
Stilichon ne servirent qu’à confirmer le triomphe d’Olympius, et le prudent
jurisconsulte abandonna son patron, dont la ruine lui paraissait inévitable.
Dans le passage de l’empereur à Bologne, Stilichon apaisa
une sédition des gardes, que sa politique l’avait engagé à exciter sourdement.
Il annonça aux soldats la sentence qui les condamnait à être décimés, et se fit
un mérite vis-à-vis d’eux d’en avoir obtenu la révocation. Lorsque ce tumulte
eut cessé, Honorius embrassa pour la dernière fois le ministre qu’il ne considérait
plus que comme un tyran, et poursuivit sa route vers Pavie, où il fût reçu aux
acclamations de toutes les troupes rassemblées pour secourir la Gaule. Le
quatrième jour, le monarque prononça, en présence des soldats, une harangue
militaire, composée par Olympius, qui, par ses charitables visites et ses
discours artificieux, avait dû les engager dans une odieuse et sanglante
conspiration. Au premier signal ils massacrèrent les amis de Stilichon, les
officiers les plus distingués de l’empire, les deux préfets du prétoire de
l’Italie et de la Gaule, deux maîtres généraux de la cavalerie et de
l’infanterie, le maître des offices, le questeur, le trésorier et le comte des
domestiques. Un grand nombre de citoyens perdirent la vie, beaucoup de maisons
furent pillées, et le tumulte dura jusqu’à la nuit. Le monarque épouvanté,
qu’on avait vu dans les rues de Pavie sans diadème et dépouillé de la pourpre
impériale, céda aux conseils de son favori, condamna la mémoire des victimes et
reconnut publiquement l’innocence et la fidélité des assassins.
La nouvelle du massacre de Pavie, remplit l’âme de Stilichon
des plus justes et des plus sinistres appréhensions. Il assembla sur-le-champ,
dans le camp de
Weitere Kostenlose Bücher