Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
qui commandaient sous
l’autorité de l’usurpateur Constantin, et établirent un gouvernement libre chez
un peuple qui obéissait depuis si longtemps au despotisme d’un maître.
Honorius, empereur légitime de l’Occident, confirma bientôt l’indépendance de
la Bretagne et de l’Armorique ; et les lettres que le fils de Théodose écrivait
à ces nouveaux États, et dans lesquelles il les abandonnait à leur propre
défense, peuvent être considérées comme une renonciation formelle aux droits et
à l’exercice de la souveraineté. L’événement justifia en quelque manière cette
interprétation. Lorsque tous les usurpateurs eurent succombé, l’empire reprit
la possession des provinces maritimes ; mais leur soumission fut toujours
imparfaite et précaire. Le caractère vain et inconstant de ces peuples, et
leurs dispositions turbulentes, étaient également incompatibles avec la
servitude et avec la liberté [3708] .
L’Armorique ne put conserver longtemps la forme d’une république [3709] ; mais
elle fut sans cesse agitée de révoltes et de factions, et la Bretagne fut
perdue sans retour [3710] .
Mais comme les empereurs consentirent sagement à l’indépendance de cette
province éloignée, la séparation n’entraîna le reproche ni de rébellion, ni de
tyrannie ; et les services volontaires de l’amitié nationale succédèrent aux
devoirs de l’obéissance et de la protection [3711] .
Cette révolution détruisit tout l’édifice du gouvernement
civil et militaire ; et, durant une période de quarante ans, la Bretagne se
gouverna, jusqu’à la descente des Saxons, sous l’autorité du clergé, des nobles
et des villes municipales [3712] .
1° Zozime, le seul qui ait conservé la mémoire de cette singulière transaction,
observe que les lettres d’Honorius étaient adressées aux villes de la
Bretagne [3713] .
Quatre-vingt-dix cités considérables avaient pris naissance dans cette vaste
province sous la protection des Romains ; et, dans ce nombre, trente-trois se
distinguaient des autres par leur importance et par des privilèges très
avantageux [3714] .
Chacune de ces villes formait, comme dans les autres provinces de l’empire, une
corporation légale, à laquelle appartenait le droit de régler la police
intérieure ; et l’autorité de ce gouvernement municipal se partageait, entre
des magistrats annuels, un sénat choisi et l’assemblée du peuple, conformément
au modèle primitif de la constitution romaine [3715] . Ces petites
républiques administraient le revenu public, exerçaient la juridiction civile
et criminelle, et s’attribuaient, relativement à leurs intérêts politiques, le
pouvoir de décider et de commander ; et lorsqu’elles défendaient leur
indépendance, la jeunesse de la ville et des environs devait naturellement se
ranger sous l’étendard du magistrat. Mais le désir d’obtenir tous les avantages
de la société civile, sans s’asservir à aucune des charges qu’elle impose, est
une source inépuisable de troubles et de discorde, et nous ne pouvons
raisonnablement, supposer que le rétablissement de l’indépendance de la Bretagne
ait été exempt de tumulte et de factions. L’audace des citoyens des classes
inférieures dut souvent méconnaître la supériorité du rang et de la fortune et
l’orgueil des nobles, qui se plaignaient d’être devenus les sujets de leurs
anciens serviteurs [3716] ,
regretta plus d’une fois sans doute le gouvernement arbitraire des empereurs.
2° Les possessions territoriales des sénateurs de chaque cité leur donnaient
sur le pays environnant une influence qui maintenait la juridiction de la
ville. Les villages et les propriétaires des campagnes reconnaissaient
l’autorité de ces républiques naissantes, afin d’y trouver, dans l’occasion,
leur sûreté. La sphère d’attraction de chacune, s’il est permis de s’exprimer
ainsi, était proportionnée au degré de population et de richesses qu’elle
renfermait dans son sein ; mais les seigneurs héréditaires de vastes
possessions, qui n’étaient point gênés par le voisinage d’une grande ville
aspiraient au rang de princes indépendants, et s’arrogeaient le droit de paix
et de guerre. Les jardins et les maisons de campagne, faibles imitations de
l’élégance italienne, durent se convertir bientôt en forteresses, où les
habitants des environs se réfugiaient dans les moments de danger [3717] . Du produit de
la terre on achetait des
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