Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
des
Barbares. Lorsqu’ils quittèrent la table, les ambassadeurs romains offrirent à
Édecon et à Oreste des robes de soie et des perles des Indes, que ceux-ci
acceptèrent avec reconnaissance. Oreste observa cependant qu’on ne l’avait pas
toujours traité avec autant d’égards et de libéralité. La distinction
offensante que le rang héréditaire de son collègue obtenait sur un particulier
revêtu d’un emploi civil, semble avoir fait d’Édecon un ami suspect, et du
reste un ennemi irréconciliable. Après leur départ de Sardica, ils firent une
route de cent milles avant d’arriver à Naissus. Cette ville florissante, la
patrie du grand Constantin ne présentait plus que des débris renversés dans la
poussière. Ses habitants avaient été détruits ou dispersés, et l’aspect de
quelques malades, à qui l’on avait permis d’y demeurer au milieu des ruines des
églises, augmentait l’horreur de cet affreux spectacle. Les environs étaient
couverts d’ossements humains, tristes restes des malheureux qui avaient été
égorgés. Les ambassadeurs, qui dirigeaient leur marché vers le nord-ouest,
furent obligés de traverser les montagnes de la Servie, avant de descendre dans
la plaine marécageuse qui conduit aux rives du Danube. Les Huns, maîtres de la
grande rivière, passèrent les ambassadeurs dans de grands canots faits du tronc
d’un seul arbre. Les ministres de Théodose descendirent sans accident sur le
bord opposé, et les Barbares qui les accompagnaient précipitèrent leur marche
vers le camp d’Attila, disposé de manière à servir aux plaisirs de la chasse
comme à ceux de la guerre. A Peine Maximin avait-il laissé le Danube à deux
milles derrière lui, qu’il commença la fatigante épreuve de l’insolence des
vainqueurs. Ils lui défendirent durement de déployer ses tentes dans une vallée
qui présentait un aspect agréable, mais qui ne se trouvait pas à la distance
respectueuse où il devait se tenir de la demeure du monarque. Les ministres
d’Attila le pressèrent de leur communiquer les instructions qu’il ne voulait
déclarer qu’en présence du souverain. Lorsque Maximin représenta avec
modération combien cette prétention était contraire à l’usage constant des
nations, il apprit avec la plus brande surprise qu’un traître avait déjà
communiqué à l’ennemi des résolutions du conseil sacré ; ces secrets, dit
Priscus, qu’on ne devrait pas révéler même aux dieux. Sur son refus de traiter
d’une manière si honteuse, on lui commanda de repartir à l’instant. L’ordre fut
révoqué et répété une seconde fois ; les Huns essayèrent encore de vaincre la
patience et la fermeté de Maximin ; enfin, par l’entremise de Scotta, frère
d’Onegesius, dont on avait obtenu la faveur à force de présents, l’ambassadeur
de Théodose obtint une audience d’Attila ; mais au lieu de lui donner une
réponse décisive, on lui fit entreprendre un long voyage vers le Nord, pour
procurer au roi des Huns l’orgueilleuse satisfaction de recevoir dans le même
camp les ambassadeurs des empires d’Orient et d’Occident. Des guides
dirigeaient sa marche et l’obligeaient de la hâter, de la déranger ou de
l’arrêter, conformément à celle qu’il plaisait au monarque de tenir. Les
Romains en parcourant les plaines de la Hongrie, crurent avoir traversé, soit
sur des canots, soit sur des bateaux portatifs, plusieurs rivières navigables ;
mais il y a lieu de présumer que le cours tortueux du Tibiscus ou la Theiss se
présenta plusieurs fois devant eux sous différents noms. Les villages voisins
leur fournissaient abondamment des provisions, de l’hydromel au lieu de vin, du
millet en guise de pain, et une certaine liqueur, nommée camus , qui, au
rapport de Priscus, se tirait de l’orge distillée [3902] . Ces vivres
devaient paraître bien grossiers à des hommes accoutumés au luxe de
Constantinople ; mais ils furent secourus dans leurs souffrances passagères par
la bienveillance et l’hospitalité de ces mêmes Barbares si terribles, et si
impitoyables les armes à la main. Les ambassadeurs étaient campés sur les bords
d’un vaste marais ; un ouragan, accompagné de tonnerre et de pluie,
renversa leurs tentes, inonda à leur bagage, l’entraîna dans le marais et dispersa
leur suite dans l’obscurité de la nuit. Ils étaient incertains de la route, et
redoutaient quelque danger inconnu ; mais ayant réveillé par leurs cris les
habitants
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