Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
ne se présenterait aucun rival, et que son avènement au trône ne serait
pas souillé par le sang des citoyens ; mais en s’occupant des vains
honneurs du triomphe, il négligea de s’assurer de la victoire. Au lieu d’entrer
en négociation avec les puissantes armées de l’Occident, dont les démarches
devaient décider, ou au moins balancer le destin de l’empire ; au lieu de
marcher sans délai à Rome, où il était attendu avec impatience [384] , Niger perdit
dans les plaisirs d’Antioche des moments précieux, dont le génie actif de
Sévère profita habilement et d’une manière décisive [385] .
Le pays des Pannoniens et des Dalmates, situé entre le
Danube et l’extrémité de la mer Adriatique, était une des dernières conquêtes
des Romains et celle qui l’eut avait coûté le plus de sang. Deux cent mille de
ces barbares avaient pris à la fois les armes pour la défense de leur liberté,
avaient alarmé la vieillesse d’Auguste, et exercé l’activité de Tibère, qui combattit
contre eux à la tête de toutes les forces de l’empire [386] . Les Pannoniens
se soumirent à la fin aux armes et aux lois de Rome. Cependant le souvenir
récent de leur indépendance, le voisinage et même le mélange des tribus qui
n’avaient point été conquises, peut-être aussi l’influence d’un climat où l’on
prétend que la nature donne aux hommes de grands corps et peu d’intelligence [387] , tout
contribuait à entretenir leur férocité primitive ; et sous le maintien
uniforme et soumis de sujets romains, on démêlait encore les traits hardis des
premiers habitants de ces contrées barbares. Leur jeunesse belliqueuse
fournissait sans cesse des recrues aux légions campées sur les bords du Danube,
et qui, perpétuellement aux prises avec les Germains et avec les Sarmates,
étaient regardées, à juste titre, comme les meilleures troupes de l’empire.
Septime Sévère commandait alors l’armée de Pannonie. Ce
général né en Afrique, avait passé par tous les grades militaires. Il avait
parcouru lentement la carrière des honneurs, nourrissant en secret une ambition
démesurée qui, ferme et inébranlable dans sa marche ne fut jamais détournée ni
par l’attrait du plaisir, ni par la crainte des dangers, ni par aucun sentiment
d’humanité [388] .
A la première nouvelle de la mort de Pertinax, il assembla ses troupes, leur
peignit avec les couleurs les plus vives le crime, l’insolence et la faiblesse
des prétoriens ; et il excita les légions, à voler aux armes et à la
vengeance. La péroraison de son discours était surtout extrêmement éloquente.
Il promettait à chaque soldat une somme de quatre cents livres sterling,
présent considérable et double de celui que le lâche Julianus avait offert pour
acheter l’empire [389] .
Les troupes conférèrent aussitôt au général le nom d’Auguste, de Pertinax et
d’empereur [13 avril 193] . Ce fut ainsi que Sévère parvint à ce poste
élève, où il citait appelé par le sentiment de son propre mérite, et par une
longue suite de songes et de présages qu’avait enfantés sa politique ou sa
superstition [390] .
Ce nouveau prétendant à l’empire sentit les avantages
particuliers de sa situation, et il sut en profiter. Son gouvernement, qui
s’étendait jusqu’aux Alpes juliennes, lui facilitait les moyens de pénétrer en
Italie. Auguste avait dit qu’une armée pannonienne pouvait paraître dans dix jours
à la vue de Rome [391] .
Ces paroles mémorables vinrent se présenter à l’esprit de Sévère. Par une
promptitude proportionnée à l’importance de l’objet, il pouvait raisonnablement
espérer de venger Pertinax, de punir Julianus, et de recevoir l’hommage du sénat
et du peuple, comme empereur légitime, avant que ses compétiteurs, séparés de
l’Italie par une immense étendue de terre et de mer, eussent été informés de
ses exploits, ou même de son élection. Pendant sa marche, il se permit à peine
le repos ou la nourriture ; toujours à pied, couvert de ses armes et
marchant à la tête de ses légions, il s’insinuait dans l’amitié et la confiance
des soldats, redoublait leur activité, relevait leur courage, animait leurs
espérances, et consentait avec joie à partager avec le moindre d’entre eux des
fatigues dont il avait toujours devant les yeux l’immense récompense.
Le malheureux Julianus s’était attendu, et, se croyait
préparé à disputer l’empire au gouverneur de
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