Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Syrie ; mais lorsqu’il apprit la
marche rapide des légions invincibles de Pannonie, sa perte lui parut
inévitable. L’arrivée précipitée de chaque courrier redoublait ses justes
alarmes. On lui vint annoncer successivement que Sévère avait passé les
Alpes ; que les villes d’Italie, disposées en sa faveur, ou incapables
d’arrêter ses progrès, l’avaient reçu avec des transports de joie et des
protestations de fidélité ; que l’importante place de Ravenne s’était
rendue sans résistance ; et enfin que la flotte de la mer Adriatique obéissait
au vainqueur. Déjà l’ennemi n’était plus éloigné de Rome que de deux cent
cinquante milles ; chaque instant resserrait le cercle étroit de la vie et
de l’empire du prince.
Cependant Julianus entreprit de prévenir sa perte, ou du
moins de la reculer. Il implora la foi vénale des prétoriens, remplit la
capitale de vains préparatifs de guerre, tira des lignes autour des faubourgs
de la ville, et se fortifia dans le palais, comme s’il eût été possible, sans
espoir de secours, de défendre ces derniers retranchements contre un ennemi victorieux.
La honte et la crainte empêchèrent les prétoriens de l’abandonner ; mais
ils tremblaient au nom des légions pannoniennes, commandées par un général
expérimenté, et accoutumées a vaincre les Barbares sur les glaces du Danube [392] . Ils quittaient,
en soupirant, les bains et les spectacles, pour prendre des armes dont le
poids les accablait, et qu’ils avaient perdu l’habitude de manier. On se
flattait que l’aspect terrible des éléphants jetterait à la terreur dans les
armées du Nord ; mais ces animaux indociles ne reconnaissaient plus la
main de leurs conducteurs. La populace insultait aux évolutions ridicules des
soldats, de marine tirés de la flotte de Misène, tandis que les sénateurs
jouissaient secrètement de l’embarras et de la faiblesse de l’usurpateur [393] .
Toutes les démarches de Julianus décelaient ses alarmes et
sa perplexité. Tantôt il exigeait du sénat que Sévère fût déclaré l’ennemi de
l’État, tantôt il désirait qu’on l’associât à l’empire. Il envoyait
publiquement à son rival des sénateurs consulaires, pour négocier avec lui
comme ambassadeurs, tandis qu’il chargeait en particulier des assassins de lui
arracher la vie. Il ordonna aux vestales et aux prêtres de sortir en pompe
solennelle, revêtus de leurs habits sacerdotaux, portant devant eux les gages
sacrés de la religion, et de s’avancer ainsi à la rencontre des légions
pannoniennes. Il s’efforçait en même temps d’interroger ou d’apaiser les
destins par des cérémonies magiques et par d’indignes sacrifices [394] .
Sévère, qui ne craignait ni ses armes ni ses conjurations,
n’avait à redouter que des complots secrets. Pour éviter ce danger, il se fit
accompagner, pendant toute sa route, de six cents hommes choisis, qui, toujours
armés de leur cuirasse, ne quittaient sa personne ni jour ni nuit. Rien ne l’arrêta
dans sa marche rapide. Après avoir passé sans obstacle les défilés des
Apennins, il reçut dans son parti les troupes et les ambassadeurs que l’on
avait envoyés pour retarder ses progrès ; et il ne resta que fort peu de
temps dans la ville d’Interamnia, aujourd’hui Teramo, située à soixante-dix
milles de Rome. Déjà il était sûr de la victoire ; mais le désespoir des
prétoriens pouvait la rendre sanglante, et Sévère avait la noble ambition de
vouloir monter sur le trône sans tirer l’épée [395] . Ses émissaires,
répandus dans la capitale, assurèrent les gardes que s’ils voulaient abandonner
à la justice du vainqueur leur indigne souverain et les meurtrières de
Pertinax, le corps entier ne serait plus jugé coupable de ce forfait. Des
soldats sans foi, dont la résistance n’avait jamais eu pour base qu’une
opiniâtreté farouche, acceptèrent avec joie ces conditions si faciles à
remplir. Ils se saisirent de la plupart des assassins, et déclarèrent au sénat
qu’ils ne défendraient pas plus longtemps la cause de Julianus. Cette
assemblée, convoquée par le consul, reconnut unanimement Sévère comme le seul
empereur légitime, décerna des honneurs divins à Pertinax, et prononça une
sentence de déposition et de mort contre son infortuné successeur Julianus,
comme un criminel ordinaire, eut aussitôt la tête tranchée dans une salle des
bains de son palais [2 juin 193] . Telle fut
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