Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
supérieur, qui fondait sur lui à la tête d’une armée
invincible, et composée des plus braves vétérans.
Les combats que Sévère eut à livrer ne semblent pas répondre
à l’importance de ses conquêtes. Deux actions, l’un près de l’Hellespont,
l’autre dans les défilés étroits de la Cilicie [409] , décidèrent du
sort de Niger ; et les troupes européennes conservèrent leur ascendant
ordinaire sur les soldats efféminés de l’Asie [410] . La bataille de
Lyon, où l’on vit combattre cent cinquante mille Romains [411] , fut également
fatale à Clodius Albinus. D’un côté le courage de l’armée britannique de
l’autre la discipline des légions de la Pannonie, tinrent longtemps la victoire
incertaine et firent plus d’une fois pencher la balance. Sévère, même était sur
le point de perdre à la fois sa réputation et sa vie, lorsque ce prince
belliqueux rallia ses troupes, ranima leur valeur [412] , et vaincu enfin
son rival [413] .
La guerre fut terminée par cette journée mémorable.
Les discordes civiles qui ont déchiré l’Europe moderne ont
été, caractérisées non seulement par une ardente animosité, mais encore par une
constance opiniâtre. Ces guerres sanglantes ont été généralement justifiées par
quelque principe, ou du moins colorées par quelque prétexte de religion, de
liberté ou de devoir. Les chefs étaient des nobles indépendants, à qui la
naissance et les biens donnaient une grande influence. Les soldats combattaient
en hommes intéressés à la décision de la querelle. Comme l’esprit militaire et
le zèle de parti enflammaient au même degré tous les membres de la société, un
chef vaincu se trouvait immédiatement après sa défaite entouré de nouveau
partisans prêts à répandre leur sang pour la même cause ; mais les
Romains, après la chute de la république, ne combattaient que pour le choix de
leur maître. Quand les vœux du peuple appelaient un candidat à l’empire, de
tous ceux qui s’enrôlaient sous ses étendards, quelques-uns servaient par
affection, d’autres par crainte, le plus grand nombre par intérêt, aucun par
principe. Les légions, dénuées de tout attachement de parti, se jetaient
indifféremment dans les guerres civiles, d’un côté ou de l’autre, déterminées
par des présents magnifiques et des promesses encore plus libérales, un échec
qui ôtait au général les moyens de remplir ses engagements, les relevait en
même temps de leur serment de fidélité. Ces mercenaires empressés d’abandonner
une cause malheureuse, ne trouvaient de sûreté que dans une prompte désertion.
Au milieu de tous ces troubles, il importait peu aux provinces au nom de qui
elles eussent gouvernées ou opprimées. Entraînées par l’impulsion d’une
puissance directe, dés que, ce mouvement venait se briser contre une force
supérieure, elles se hâtaient de recourir à la clémence du vainqueur, qui, pour
acquitter des dettes exorbitantes, sacrifiait les provinces les plus coupables
à l’avarice des soldats. Dans l’immense étendue de l’empire, les villes, sans
défense, pour la plupart, n’offraient point d’asile aux débris d’une armée en
déroute. Enfin, il n’existait aucun homme, aucune famille, aucun ordre de
citoyens, dont le crédit particulier eût été capable de rétablir la fortune
d’un parti expirant sans être soutenu de l’influence puissante du gouvernement [414] .
Il ne faut cependant pas oublier une ville dont les
habitants méritent, par leur attachement à l’infortuné Niger, une exception
honorable. Comme Byzance servit de principale communication entre l’Europe et
l’Asie, on avait eu soin de pourvoir à sa défense par une forte garnison et par
une flotte de cinq cents voiles, qui mouillait dans son port [415] :
l’impétuosité de Sévère déjoua ce plan de défense si prudemment combiné. Ce
prince laisse ses généraux autour des murailles de la place, force le passage
moins gardé de l’Hellespont ; et, impatient de voler à des conquêtes plus
faciles, il marche au devant de son rival. Byzance, attaquée par une armée
nombreuse et toujours croissante, et enfin par toutes les forces navales de
l’empire, soutint un siège de trois ans, et demeura fidèle au nom et à la
mémoire de Niger. Les soldats et les citoyens, animés d’une ardeur dont nous
ignorons la cause, se battaient en furieux : plusieurs même des principaux
officiers de Niger, qui
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