Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
effet, si nous devons
ajouter foi à la médisance de l’histoire ancienne, la chasteté n’était pas la
vertu favorite de l’impératrice Julie [445] .
Deux fils, Caracalla [446] et Geta, étaient le fruit, de ce mariage, et devaient un jour gouverner
l’univers. Les idées magnifiques que Sévère et ses sujets s’étaient formées, en
voyant s’élever ces appuis du trône, furent bientôt détruites. Les enfants de
l’empereur passèrent leur jeunesse dans l’indolence, si ordinaire aux princes
destinés à porter la couronne, et qui présument que la fortune leur tiendra
lieu de mérite et d’application. Sans aucune émulation de talents ou de
mutuelle vertu, ils conçurent l’un pour l’autre, dès leur enfance, une haine
implacable. Leur aversion éclata presque dans le berceau ; elle, s’accrut
avec l’âge, et, fomentée par des favoris intéressés à la perpétuer, elle donna
naissance à des querelles plus sérieuses ; enfin elle divisa le théâtre,
le cirque et la cour en deux factions sans cesse agitées par les espérances et
par les craintes de leurs chefs respectifs. L’empereur mit en œuvre tout ce que
lui suggéra sa prudence, pour étouffer cette animosité dans son origine. Il
employa tour à tour les conseils et l’autorité : la malheureuse antipathie de
ses enfants obscurcissait l’avenir brillant qui s’était offert à ses yeux, et
lui faisait craindre la chute d’un trône élevé à travers mille dangers, cimenté
par des flots de sang, et soutenu par tout ce que pouvait donner de sécurité la
force militaire, accompagnée d’immenses trésors. Dans la vue de tenir entré eux
la balance toujours égale, il donna aux deux frères le titre d’Auguste, et le
nom sacré d’Antonin. Rome fut gouvernée, pour la première fois, par trois
empereurs [447] .
Cette distribution égale de faveurs ne servit qu’à exciter le feu de le
discorde : tandis que le superbe Caracalla se vantait d’être le fils aîné
du souverain, Geta, plus modéré, cherchait à se concilier l’amour des soldats
et du peuple. Sévère, dans la douleur d’un père affligé, prédit que le plus
faible de ses enfants tomberait un jour sous les coups du plus fort, qui serait
à son tour victime de ses propres vices [448] .
Dans ces circonstances malheureuses, ce prince reçut avec
plaisir la nouvelle d’une guerre en Bretagne [208] , et d’une invasion
des habitants du nord de cette province. La vigilance de ses lieutenants eût
suffi pour repousser l’ennemi ; mais il crut devoir saisir un prétexte si
honorable pour arracher ses fils au luxe de Rome, qui énervait leur âme et qui
irritait leurs passions, et pour endurcir ces jeunes princes, aux travaux de la
guerre et de l’administration. Malgré son âge avancé (car il avait alors plus
de soixante ans), et malgré sa goutte, qui l’obligeait de se faire porté en
litière, il se rendit en personne dans cette île éloignée accompagné de ses
deux fils, de toute sa cour et d’une armée formidable. Immédiatement après, son
arrivée, il passa les murailles d’Adrien et d’Antonin et entra dans le pays
ennemi, avec le projet de terminer la conquête, si souvent entreprise de la
Bretagne. Il pénétra jusqu’à l’extrémité septentrionale de l’île sans
rencontrer aucune armée ; mais les embuscades des Calédoniens, qui,
invisibles ennemis sans cesse postés autour de l’armée romaine, tombaient tout
à coup, sur les flancs et sur l’arrière-garde, le froid rigoureux du climat et
les fatigues d’une marche pénible à travers les montagnes et les lacs glacés de
l’Écosse, coûtèrent, dit-on, à l’empire, plus de cinquante mille hommes. Enfin,
les Calédoniens, épuisés par des attaques vives et réitérées, demandèrent la
paix, remirent au vainqueur une partie de leurs armes, et lui cédèrent une étendue
très considérable de leur territoire. Mais leur soumission n’était
qu’apparente ; elle cessa avec la terreur que leur inspirait la présence
de l’ennemi. Dès que les Romains se furent retirés, les Barbares secouèrent le
joug et recommencèrent les hostilités. Leur esprit indomptable enflamma le
courroux de Sévère. Ce prince résolut d’envoyer une autre armée dans la
Calédonie avec l’ordre barbare de marcher contre les habitants, non pour les
soumettre, mais pour les exterminer. La mort vint le surprendre tandis qu’il
méditait cette cruelle exécution [449] .
Cette guerre
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