Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
imagination brillante; cachèrent la flatterie sous le voile d’un
sophisme ingénieux, et réduisirent la servitude en principe. La cour les
applaudissait avec transport, et le peuple les écoutait avec tranquillité,
lorsque, pour défendre la cause du despotisme, ils démontraient la nécessité
d’une obéissance passive, ou qu’ils déploraient les malheurs inévitables
qu’entraîne la liberté. Les jurisconsultes et les historiées enseignaient
également que la puissance impériale n’était point une simple délégation ; mais
que le sénat avait irrévocablement cédé tous ses droits au souverain. Ils
répétaient que l’empereur ne devait point être subordonné aux lois ; que
sa volonté arbitraire s’étendait sur la vie et sur la fortune des citoyens, et
qu’il pouvait disposer de l’État comme de son patrimoine [437] . Les plus
habiles de ces jurisconsultes, et principalement Papinien, Paulus et Ulpien,
fleurirent sous les princes de la maison de Sévère. Ce fut à cette époque que
la jurisprudence romaine, liée intimement au système de la monarchie, parut
avoir atteint le dernier degré de perfection et de maturité.
Les contemporains de Sévère qui jouissaient de la gloire et
du bonheur de son règne, lui pardonnèrent les cruautés qui lui avaient frayé le
chemin au trône. Leur postérité qui éprouva les suites funestes de ses maximes
et de son exemple, le regarda à juste titre, comme Ie principal auteur de la
décadence des Romains.
Chapitre VI
Mort de Sévère. Tyrannie de Caracalla. Usurpation de Macrin. Folies d’Élagabal.
Vertus d’Alexandre Sévère. Licence des troupes. État général des finances des
Romains.
LES ROUTES qui mènent à la grandeur sont escarpées et
bordées de précipices ; cependant un esprit actif, en parcourant cette carrière
dangereuse, trouve sans cesse un nouvel attrait dans la difficulté de
l’entreprise et dans le développement de ses propres forces ; mais la
possession même, d’un trône ne pourra jamais satisfaire un homme ambitieux ;
Sévère sentit bien vivement cette triste vérité. La fortune et le mérite
l’avaient tiré d’un état obscur pour l’élever à la première place du monde : J’ai
été tout , s’écriait-il, et tout a bien peu de valeur [438] . Agité sans
cesse par le soin pénible, non d’acquérir, mais de conserver un empire ; courbé
sous le poids de l’âge et des infirmités, peu sensible à la renommée [439] , rassasié de
pouvoir, il n’apercevait, plus rien autour de lui qui pût fixer ses regards
inquiets. Le désir de perpétuer la puissance souveraine dans sa famille devint
le dernier vœu de son ambition et de sollicitude paternelle.
Ce prince, comme presque tous les Africains, s’appliquait
avec la plus grande ardeur aux vaines études de la divination et de la
magie ; il était profondément versé dans l’interprétation des songes et
des présages, et connaissait parfaitement l’astrologie judiciaire ;
science qui de tout temps, excepté dans notre siècle, a conservé son empire sur
l’esprit de l’homme. Sévère avait perdu sa première femme tandis qu’il
commandait dans la Gaule lyonnaise [440] .
Résolu de se marier, il ne voulut s’unir qu’avec une personne dont la destinée
fût heureuse. On lui dit qu’une jeune dame d’Émèse en Syrie était née, sous une
constellation qui présageait la royauté : aussitôt il la recherche en
mariage, et obtient sa main [441] .
Julie Domna, c’est ainsi qu’on la nommait, méritait tout ce que les astres
pouvaient lui promettre. Elle conserva jusque dans un âge avancé les charmes de
la beauté [442] ,
et elle joignit à une imagination pleine de grâces une fermeté d’âme et une
force de jugement, qui sont rarement le partage de son sexe. Ses aimables
qualités ne firent jamais une impression bien vive sur le caractère sombré et
jaloux de son mari. Sous le règne de son fils, lorsqu’elle dirigea les
principales affaires de l’empire, elle montra une prudence qui affermit
l’autorité de ce jeune prince, et une modération qui en corrigea quelquefois
les folles extravagances [443] .
Julie cultiva les lettres et la philosophie avec quelque succès et avec une
grande réputation. Elle protégea les arts et fut l’amie de tout homme de génie [444] . Son mérite a
été célébré par des écrivains qui représentent cette princesse comme un modèle
accompli. La reconnaissance les a sans doute aveuglés. En
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