Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
calédonienne, peu fertile en événements
remarquables, et dont les suites n’ont point été importantes, semblerait ne pas
devoir mériter notre attention ; mais on suppose, avec beaucoup de vraisemblance
que l’invasion de Sévère tient à l’époque la plus brillante de l’histoire ou de
la fable des anciens Bretons. Un auteur moderne vient de faire revivre dans
notre langue les exploits et la gloire des poètes et des héros qui vivaient
dans ces temps reculés. Fingal, dit-on, commandait alors les Calédoniens ;
il osa braver la puissance formidable de Sévère, et il remporta sur les rives
du Carun une victoire signalée, dans laquelle le fils du roi du monde,
Caracul , prit la fuite avec précipitation à travers les champs de son
orgueil [450] .
Ces traditions écossaises sont toujours couvertes de
quelques nuages que, jusqu’à présent, les recherches les plus ingénieuses des
critiques [451] n’ont pu dissiper entièrement. Mais si nous pouvions nous permettre, avec
quelque certitude, cette séduisante supposition que Fingal vivait et qu’Ossian
chantait alors le contraste frappant des mœurs et de la situation pourrait
intéresser un esprit philosophique. Si l’on compare la vengeance implacable de
Sévère avec la noblesse, la générosité de Fingal, le caractère lâche et féroce
de Caracalla avec la bravoure, le génie brillant, la douce sensibilité
d’Ossian ; si l’on oppose a des chefs mercenaires que la crainte ou
l’intérêt force à suivre les étendards de l’empire, des guerriers indépendants,
qui volent aux armes à la voix du roi de Morven, en un mot, si l’on contemple
d’un côté la liberté, les vertus éclatantes, simples et naturelles des
Calédoniens ; de l’autre l’esclavage, la corruption et les crimes
flétrissant des Romains dégénérés, le parallèle ne sera pas à l’avantage de la
nation la pus civilisée.
La santé languissante et la dernière maladie de l’empereur
enflammèrent l’ambition sauvage de Caracalla. Dévoré du désir de régner, déjà
le fils de Sévère souffrait impatiemment que l’empire, se trouvât
partagé ; il médita le noir projet d’abréger les jours d’un père expirant,
et même il essaya, d’exciter, une rébellion parmi les troupes [452] . Ses intrigues
furent inutiles. Le vieil empereur avait souvent blâmé l’indulgence aveugle de
Marc-Aurèle, qui pouvait, par un seul acte de justice, sauver les Romains de la
tyrannie de son indigne fils. Placé dans les mêmes circonstances, ce prince
sentit avec quelle facilité la tendresse d’un père étouffe dans le cœur des
souverains la sévérité d’un juge. Il délibérait, il menaçait, mais il ne
pouvait punir ; son âme s’ouvrit alors, pour la première fois, à la pitié,
et cet unique et dernier mouvement de sensibilité fut plus fatal à l’empire que
la longue série de ses cruautés [453] .
L’agitation de son âme irritait les douleurs de sa
maladie : il souhaitait ardemment la mort ; soin impatience le fit
descendre plus promptement au tombeau : il rendit les derniers soupirs à
York [le 4 février 211] , dans la soixante-sixième année de sa vie, et
dans la dix-huitième d’un règne brillant et heureux. Avant d’expirer, il
recommanda la concorde à ses fils et à l’armée. Les dernières instructions de
Sévère ne parvinrent pas jusqu’au cœur des jeunes princes ; ils n’y firent
pas même la plus légère attention ; mais les troupes, fidèles à leur
serment, obéirent à l’autorité d’un maître dont elles respectaient encore la
cendre ; elles résistèrent aux sollicitations de Caracalla, et
proclamèrent les deux frères empereurs de Rome. Les nouveaux souverains
laissèrent les Calédoniens en paix, retournèrent dans la capitale, où ils
rendirent à leur père les honneurs divins, et furent reconnus solennellement
souverains légitimes par le sénat, par le peuple et par les provinces. Il
paraît que l’on accorda, pour le rang, quelque prééminence au frère aîné ;
mais ils gouvernèrent tous les deux l’empire avec un pouvoir égal et
indépendant [454] .
Une pareille administration aurait allumé la discorde entre
les deux frères le plus tendrement unis. Il était impossible que cette forme de
gouvernement subsistât longtemps entre deux ennemis implacables, qui, remplis
d’une méfiance réciproque, ne pouvaient désirer une réconciliation. On
prévoyait que l’un des deux seulement pouvait
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