Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
contradiction entre ces deux voies s’exaspère avec la chute de l’Empire ottoman en 1918. Mais le débat qui existe au temps de Nasser, de Mossadegh, et qui est toujours actuel, est bien né au XIX e siècle, prenant ses racines dans l’histoire même de l’Empire ottoman.
La revendication arabe a pris des accents et des formes différentes en Orient, où ces pays sont passés sous la domination ottomane, et en Occident où la conquête ottomane arrêta, dès le XVI e siècle, l’entreprise de colonisation européenne qui s’était développée du Maroc à la Tripolitaine.
C’est en 1516, en effet, que le sultan Sélim I er mit en déroute les troupes d’Al-Ghûrî à Mardj Dâbik, près d’Alep, prélude à l’effondrement de l’Empire mameloukqui dominait le Proche-Orient depuis deux cent cinquante ans. La conquête de la Syrie, celles de la Palestine et de l’Égypte suivirent ; aussitôt, le corsaire turc Khayr al-Dîn, dit Barberousse, prêtait serment à Sélim et faisait entrer Alger, Constantine et Tunis dans l’Empire ottoman. Seuls, aux deux extrémités du monde arabe, le Yémen et le Maroc échappaient au Sultan.
L ’ AUTONOMISATION DES PEUPLES SOUS LA DOMINATION OTTOMANE
Tous ces pays demeurent pendant près de quatre siècles sous domination ottomane, sauf l’Algérie conquise par la France dès 1830, et les divisions administratives instituées alors ont survécu jusqu’à aujourd’hui — car auparavant, une dynastie berbère, les Hafsides de Tunisie, exerçait son autorité sur Constantine et sur Tripoli. Plus à l’est, Tlemcen maintenait une autonomie contestée par les Mérinides du Maroc.
Le gouvernement du sultan fit réaliser, dès le XVI e siècle, une sorte d’état des lieux ( tahrir ), à des fins fiscales, riche documentation qui permet, tout comme les règlements ( kânûnnâme ) d’avoir une idée précise de la richesse et des échanges de chaque partie de l’Empire. L’administration des provinces arabes reposait, outre les services financiers, sur trois bases principales, les pachas — ou gouverneurs —, les kadis — ou juges — et la milice des janissaires. Or, on observe que la durée du mandat des pachas a diminué avec le temps, leurs abus et les conflits locaux rendant nécessaire leur rapide rotation : on en compte 110 au Caire de 1517 à 1789, 75 à Damas au XVII e siècle. Cela eut pour effet de fortifier les contrepoids à leur autorité, de sorte que peu à peu l’institution militaire ou les forces locales prirent le dessus sur le représentant du pouvoir central, d’autant plus que les militaires d’origine locale contrôlaient de plus en plus l’ordre des janissaires : ainsi, dans l’armée de Tunis qui se bat contre les gens de Constantine en 1807, à la bataille de l’oued Sarrat, on ne compte plus que 1 500 Turcs sur 20 000 soldats. Cela était surtout vrai là où un État antérieur à la conquête ottomane avait existé, en Égypte ouen Tunisie par exemple ; mais, en Algérie, le recrutement demeura anatolien, car la minorité turque était isolée et elle se voulait assez forte pour écarter du pouvoir les éléments locaux.
S’il existait des forces qui conduisaient à l’autonomisation de certaines provinces, il existait aussi des facteurs de cohésion, notamment cette solidarité envers l’Empire due à l’aide donnée aux musulmans chassés de l’Europe chrétienne, au XVI e siècle surtout, et à la fierté d’avoir un sultan qui combattait à la fois à Vienne, en Irak, en Crète, en Crimée, contrôlant une partie de la Méditerranée. Au XVIII e siècle, le déclin de l’Empire affectait les régions non arabes, mais celles-ci se jugeaient néanmoins protégées contre tout danger extérieur. Le choc ressenti à Alger en 1830 fut d’autant plus grand. Quelques décennies plus tard, à Tunis, on s’imaginait qu’une grande armée ottomane arriverait bientôt pour délivrer l’Algérie…
Mais la dynamique de déstructuration était plus forte, malgré l’Islam et malgré les liens économiques. Au reste, de vraies dynasties locales, arabes, gouvernaient la Palestine au XVIII e siècle, la province de Damas au tournant du XVIII e siècle et du XIX e siècle, tandis qu’en Irak les conflits entre Ottomans et Persans, anciens de plusieurs siècles, favorisaient la naissance d’une sorte d’autonomisme, à Mossoul notamment, où la dynastie des Djalîlî domine la région
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