Histoire du Japon
empereurs de Heian, qui montre que, sur trente-trois souverains, treize moururent sur le trône, un fut déposé, et dix-neuf abdiquèrent. S’il y eut sans doute aussi quelques abdications forcées, il est clair que certains des empereurs les plus capables choisirent cette solution pour échapper à la charge des devoirs rituels ou au danger des conspirations de palais, et pour consacrer leur talent au soin et au plaisir d’exercer le pouvoir.
La plupart « entrèrent en religion » et reçurent le titre de « hô-ô », ou souverain sacré. Il ne s’agissait pas d’un trait fondamental du gouvernement de cloître, mais il était courant parmi les hommes qui désiraient la liberté d’action de « prendre la tonsure » et quelque saint office qui leur assurait une certaine protection contre les dangers séculiers.
Le tableau suivant donne une idée de la situation confuse qui résulta de ces pratiques :
PRINCIPAL EMPEREUR CLOÎTRÉ
AUTRE EMPEREUR RETIRÉ
EMPEREUR EN TITRE
DATE
Go-Sanjô –
Shirakawa Go-Sanjô
Shirakawa _
1067-1072
1072-1073
1073-1086
Les anomalies du système de l’Insei, ou la négation même de tout système, sont ici clairement illustrées, car Toba lui-même abdiqua et devint empereur cloîtré en 1123, de sorte qu’il y eut pendant un certain temps deux empereurs retirés et un empereur en titre (Sutoku). On imagine quelles querelles dynastiques et juridictionnelles engendra cet état de choses. Lorsque Shirakawa mourut (en 1129), son petit-fils Toba lui succéda, et, désormais seul empereur cloîtré, gouverna le pays jusqu’en 1156. Le système de l’ Insei dura sous cette forme pendant soixante-dix ans, de 1086 à 1156, jusqu’à la mort de Toba. Il lui survécut ensuite pendant quelque temps, mais sans plus de portée réelle, les clans guerriers ayant arraché aux empereurs cloîtrés aussi bien qu’aux souverains en titre jusqu’aux derniers lambeaux de pouvoir.
Dans leur lutte pour la suprématie, ces clans se servirent à leur tour de l’empereur Go-Shirakawa. Chacun prétendit être le protecteur du Trône, et Go-Shirakawa devint le symbole du pouvoir souverain qu’il ne pouvait pas exercer. Après son abdication, en 1158, il survécut jusqu’en 1192 grâce au prestige de la Maison impériale et à son inquiétante habileté personnelle à dresser les factions les unes contre les autres. Mais durant le règne qui fut ainsi le sien, il ne gouverna pas.
L’apparition et la disparition d’un dispositif politique aussi exceptionnel exigent certaines explications. Bien que son développement eût quelque chose d’accidentel, son but premier était sans aucun doute de rompre avec les régents Fujiwara et de restaurer la Maison impériale en créant une source d’autorité indépendante des parents maternels de l’occupant du trône. Sous le nouveau système, l’accent se déplaça en réalité du parent maternel au parent paternel : tandis que, jusque-là, le régent pouvait influencer l’empereur régnant parce que l’impératrice était une fille Fujiwara, désormais, l’empereur abdicataire fut en mesure de gouverner parce que l’empereur régnant était son propre fils. Il est vrai qu’un tel moyen aurait pu ne pas réussir si les Fujiwara étaient demeurés solidaires ; mais l’injustice inhérente à leur dictature était vouée à devenir à la longue une source de faiblesse, et le fait que leur mandokoro fût transféré dans la salle du conseil de l’empereur retiré suffit à expliquer le nouveau système. La chance favorisa en outre les ennemis du clan, car après l’époque de Michinaga, soit les femmes Fujiwara moururent jeunes soit elles n’eurent qu’une fille ou pas d’enfant du tout. La source féminine du pouvoir sembla s’être tarie. Enfin, il y eut des rivalités à l’intérieur du clan, ou plus exactement au sein de la branche nord, dont les régents étaient issus, et cette faiblesse acheva de les ruiner, car lorsque Go-Sanjô revendiqua le trône parce que l’impératrice, femme de son frère, était stérile, il bénéficia du puissant appui d’un noble Fujiwara (Yoshinobu), qui prit parti contre le régent Yorimichi bien qu’il fût son parent.
Ces détails dynastiques sont fastidieux et n’ont guère d’importance historique sinon dans la mesure où ils expliquent la mise en place d’un système politique exceptionnel. En raison même de son caractère anormal, ce système était appelé à
Weitere Kostenlose Bücher