Histoire du Japon
était aussi noble que la sienne, et qui entretenaient avec lui des rapports assez semblables à ceux des turbulents barons et du roi d’Angleterre, qu’ils accompagnaient plutôt qu’ils ne le suivaient dans ses campagnes. Le Grand Omi était le chef de tous les Omi, ou Grands, en quelque sorte le chef des chefs de clan, tous de haute naissance. Le Grand Muraji était le chef de tous les Muraji, chefs de clan d’origine un peu moins remarquable, mais néanmoins puissants. Parmi eux entraient les familles des Nakatomi, des Otomo et des Mononobe, dont nous avons déjà noté qu’ils occupaient des charges importantes. S’ils le voulaient, ces grands nobles étaient en mesure de défier l’autorité du Trône, en vertu de leur richesse aussi bien que de leur naissance. Au-dessous d’eux se trouvait la noblesse campagnarde (« Kunitsuko » ou « Kuni no miyatsuko »), formée de propriétaires fonciers locaux de diverses origines, dont certains possédaient de vastes domaines, et d’autres rien de plus qu’une modeste étendue Je terre cultivable. Théoriquement, ils pouvaient être les tenanciers de terres appartenant à la Couronne, mais en fait, ils étaient les propriétaires du sol que leurs sujets cultivaient.
L’ensemble des possessions des grands propriétaires et de la noblesse provinciale, joint à l’autorité qu’ils exerçaient sur d’importantes corporations de travailleurs, risquait de compromettre la position de la maison impériale, la poussant à étendre ses propres domaines aussi rapidement que possible. Elle le fit en créant de nouvelles corporations et en amenant, par la contrainte ou la persuasion, les chefs des clans locaux à lui fournir une certaine main-d’œuvre. Ici, la création de corporations de travailleurs hautement spécialisés fut sans doute particulièrement efficace. On commença par recruter ces spécialistes parmi les Coréens que des bouleversements dynastiques poussèrent vers 400 à chercher refuge au Japon. Certains d’entre eux, anciens fonctionnaires, érudits et artistes, étaient des hommes bien nés et rendirent à la cour qui sut les accueillir d’inestimables services en tant que scribes, secrétaires ou comptables. Et les artisans de toutes sortes, maîtres de procédés dont les travailleurs japonais n’étaient pas encore familiers, ne furent pas moins utiles.
Si l’on en croit les chroniques indigènes, qui parlent de l’arrivée de centaines de familles d’« hommes de Qim » et d’« hommes de Han », ces émigrés pénétrèrent au Japon en grand nombre. Il s’agissait de Chinois, ou en tout cas de Coréens qui prétendaient descendre de familles chinoises bien connues. Une fois au Japon, où ils continuèrent d’affluer au ve et au vi^ siècle, ils s’installèrent généralement dans des régions placées sous l’autorité de la Couronne, et constituèrent des corporations qu’ils dirigeaient eux-mêmes. Les fabricants de brocart devinrent ainsi les Ayabe, et le statut conféré à leur chef n’avait rien à envier à celui d’un noble indigène. D’autres groupes reçurent un traitement similaire, au point que les membres de l’ancienne aristocratie ne tardèrent pas à se montrer jaloux des privilèges dont ces étrangers jouissaient. Au vie siècle, ils étaient toutefois solidement installés et formaient certainement un élément très important, peut-être même le plus important, de la composition du peuple japonais si nous en excluons la grande masse des agriculteurs. Ils apportèrent au développement d’une vie civilisée une contribution indispensable, car en dépit des qualités que possédaient les Japonais, avant le ve siècle leurs chefs étaient très arriérés comparés aux tenants des grandes cultures du continent. Ils étaient courageux à la guerre, et, dans leur vie communautaire, ils manifestaient un grand sens de la loyauté ; mais les conditions que nous laissent entrevoir les premières chroniques ne sont rien moins que barbares.
Remarquons peut-être ici que, lorsqu’on étudie la première société japonaise, on est impressionné par son développement ultérieur. Nous sommes accoutumés à voir les cultures asiatiques comme remontant à une lointaine et lumineuse antiquité, mais ce n’est en aucune façon le cas du Japon. Comparée même à l’expérience d’un pays aussi ténébreux que l’ancienne Angleterre, située elle aussi au large d’un grand continent, celle du Japon
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