Histoire du Japon
avait une fâcheuse conséquence, une contradiction interne que révélait le problème des rônin, les samurai sans emploi. Ce problème naquit de la distinction opérée par Hideyoshi entre soldats et paysans, distinction qui eut pour effet d’empêcher les soldats de vivre dans les villages. C’était là un des buts que visaient les études foncières de Hideyoshi, qui voulait que les fermes fournissent un revenu national au lieu d’entretenir une classe de propriétaires-guerriers susceptibles de fomenter des rébellions. On peut toutefois en voir une cause plus immédiate dans la réduction ou l’abolition des fiefs des adversaires de Ieyasu. Du fait que les rônin, qui se multiplièrent dans cette situation, n’avaient généralement aucune attache locale, ils ne posèrent aucun problème urgent jusqu’après la bataille de Sekigahara, car aussi longtemps que les guerres se poursuivirent, ils eurent la possibilité de s’engager. Mais après Sekigahara, le problème devint aigu, car l’abolition ou la réduction de fiefs et les déplacements de daimyô se multiplièrent alors à tel point qu’on prétend que le nombre des soldats sans emploi, sans maître et sans moyens de subsistance atteignit 500000.
Ce chiffre n’a rien de surprenant. Entre 1601 et 1650, le revenu total des fiefs confisqués se monta à plus de 12 millions de koku, ce qui donne une idée du nombre de daimyô touchés. Les shôgun Tokugawa avaient un appétit vorace de terres, et prenaient n’importe quel prétexte pour confisquer des fiefs, sans s’occuper du bien-être de leurs habitants. A un certain moment, ils refusèrent, par exemple, de reconnaître les adoptions faites par les daimyô et les hatamoto, et purent ainsi exercer plus souvent leur droit de confiscation en cas de mort sans héritier. Une soixantaine de fiefs d’un revenu total de cinq millions de koku tombèrent entre leurs mains pour cette unique raison.
Les samurai qui perdirent ainsi leur emploi devinrent de plus en plus nombreux, comme l’atteste clairement le fait que, en 1651, quand le gouvernement d’Edo se décida enfin à prendre des mesures draconiennes pour diminuer le nombre des rônin, l’un de ses premiers soins fut de limiter les confiscations et de reconnaître l’adoption d’un héritier par un daimyô ou un hatamoto de plus de cinquante ans. Toutes les mesures adoptées jusque-là étaient restées sans résultat.
Au début du bakufu d’Edo, peu après la chute d’Osaka, le conseil du shôgun s’était déjà alarmé de la difficulté qu’il y avait à contrôler les soldats qui, désormais sans emploi, étaient agités et enclins à créer des troubles. On dit que 100000 hommes combattirent du côté des Toyotomi ; or comme leurs pertes s’élevaient à 30000, ils étaient 70000 dans le seul Kinai (les provinces du Centre), et essentiellement à Kyoto, qui tous espéraient de nouveaux troubles dans l’État et dont certains priaient pour qu’ils se produisent dans les plus brefs délais. Le nombre de ceux qui s’étaient battus du côté des
Tokugawa était encore plus grand. Tous étaient une source d’inquiétude constante pour le gouvernement, dont certains membres encourageaient une violente politique de répression qui devait résoudre le problème en chassant les rônin des villes. Cette décision fut d’abord appliquée indistinctement, puis uniquement aux hommes qui ne manifestaient pas l’intention de prendre du service auprès d’un nouveau maître ou de chercher un emploi dans le civil.
Un exemple intéressant nous est fourni par les hommes qui avaient été au service de Fukushima Masanori, l’un des plus fidèles généraux de Ieyasu. On lui avait enlevé son fief, de quelque 500000 koku, pour avoir désobéi à un ordre du shôgun. Ses hommes se trouvèrent ainsi sans emploi, mais ceux qui occupaient un rang élevé étaient connus pour leurs talents, et d’autres daimyô rivalisèrent pour se les attacher. De tels cas n’étaient pas courants, mais un vassal qui reprenait un fief ne chassait généralement pas tous les samurai qui y résidaient. Ainsi, le nombre réel des sans-emploi est difficile à estimer ; mais ils étaient assez nombreux pour gêner le bakufu, qui commença par s’occuper de la situation de façon maladroite, ordonnant l’expulsion des villes, et, en même temps, priant les daimyô de chasser les rônin qui cherchaient du travail dans leurs fiefs. La même recommandation fut
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