Histoire du Japon
aux prisonniers d’abjurer leur foi en échange de la vie. Tous refusèrent, et on les amena alors au lieu d’exécution, où cinquante-sept d’entre eux furent décapités. Les treize restant furent épargnés de manière à pouvoir raconter à Mocao ce qui s’était passé. Leur bateau fut brûlé.
De toute évidence, la politique de fermeture dont émanait cet acte était plus ou moins étroitement liée à la crainte d’une agression étrangère ; toutefois, les textes des ordres d’expulsion paraissent tous indiquer que leur principal objectif était l’anéantissement du christianisme au Japon. Cette vision des choses est néanmoins difficile à concilier avec la prédication de l’Évangile telle qu’elle se pratiqua en 1635-1639, où ces ordres furent publiés. Il est donc intéressant d’étudier l’évolution de la politique antichrétienne au Japon à partir du début du gouvernement de Ieyasu afin d’essayer d’en saisir les raisons.
Mouvement antichrétien
On se souvient que la première déclaration antichrétienne fut faite en 1611, donnant aux fonctionnaires l’ordre de prendre des mesures contre les convertis. Elle fut suivie en 1612 par un ordre à Hasegawa Fujihiro (Sahôe), gouverneur de Nagasaki de 1606 à 1614, visant des délinquants précis. Puis vint un long décret, en juin 1613, adressé à tous les monastères et sanctuaires pour les mettre en garde contre les mauvaises sectes, c’est-à-dire le christianisme et une branche hétérodoxe du Nichiren, la secte du Lotus. Enfin, en juin 1614, le moine Sôden présenta un mémoire décrivant les méfaits de la foi chrétienne et le tort causé par son enseignement à la tradition religieuse indigène. Ce document, qui trahit une certaine influence confucianiste, demandait l’expulsion des missionnaires étrangers. Hidetada l’approuva en y apposant son sceau vermillon, et il prit ainsi force de loi.
Il faut dire que Ieyasu se montra tout à fait tolérant à l’égard des missionnaires étrangers jusqu’en 1612, et que, même ensuite, il demeura relativement clément. Ses officiers et les membres de la classe militaire n’avaient pas le droit de se faire chrétiens, mais les classes inférieures – les paysans, artisans et commerçants – étaient libres de choisir leurs croyances. Il est vrai qu’en 1613 vingt-sept évangélisateurs et catéchistes japonais furent exécutés, mais du fait d’une infraction délibérée à la loi dans la capitale du shôgun par un missionnaire espagnol nommé Sotelo, qui, en 1612, construisit une chapelle à Edo et y célébra publiquement la messe. Sotelo fut alors condamné à mort, mais la sentence ne fut pas exécutée.
Cependant, en 1614, l’interdiction frappant le christianisme fut clairement formulée. En 1606, il y avait environ 120 jésuites (66 pères et 56 frères) et une trentaine de franciscains et membres d’autres ordres. Le nombre total de ceux qui restèrent ou revinrent après l’édit de 1614 est estimé à 47, après quoi quelques autres arrivèrent en fraude.
Ieyasu voulut expulser les jésuites et autres missionnaires, pour la raison surtout qu’il pouvait désormais compter sur les marchands anglais et hollandais, qui n’étaient pas soumis à leur pression. La plupart des missionnaires partirent à ce moment-là, mais quelques-uns restèrent cachés et d’autres revinrent en secret au Japon. On sait qu’il se trouvait plusieurs pères au château d’Osaka alors qu’il était assiégé. Néanmoins, en dépit de cette infraction aux édits, aucun prêtre étranger ne fut puni de mort du vivant de Ieyasu. Il y a d’ailleurs de bonnes raisons de croire que ce dernier, préoccupé comme il l’était par l’épreuve de force qui l’attendait à Osaka, ne s’inquiétait guère de la propagande chrétienne au Japon. Les décrets publiés durant sa vie ne portent pas la marque de son autorité, et d’après les jésuites et les négociants anglais résidents, ceux de 1613 et 1614 étaient l’œuvre de Hasegawa, le gouverneur de Nagasaki, qui était âprement anti étranger et responsable de l’impitoyable persécution des chrétiens dans le fief d’Arima, qu’il obtint par ruse en 1614.
Ieyasu était large d’esprit et pondéré dans son jugement. Il s’intéressait davantage à développer le commerce qu’à punir les missionnaires. Ce n’est qu’après sa mort que des mesures énergiques furent prises contre les chrétiens du Japon. Un
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