Histoire du Japon
fait d’une soudaine maladie de Chùya, qui se mit à crier des secrets dans son délire. Le projet fut alors remis jusqu’aux premiers jours de septembre. Entre-temps, le bakufu avait appris les détails du complot. Chùya fut arrêté à Edo, et à Sumpu (Shizuoka) Shôsetsu s’éventra en même temps que plusieurs de ses camarades alors que la police les encerclait. Son cadavre fut soumis aux outrages habituels, et ses vieux père et mère furent crucifiés ainsi que nombre de ses proches parents. Après d’atroces tortures, Chûya et ses complices furent aussi crucifiés, et leurs femmes et enfants furent décapités.
Sorti de son aspect dramatique, ce soulèvement présente un intérêt particulier du fait qu’il témoigne de l’évolution de la politique intérieure du bakufu, qui ne pouvait que rencontrer des difficultés tant qu’elle visait à entretenir l’esprit militaire plutôt qu’à développer l’industrie et le commerce.
Les grands conseillers, surpris par la conspiration, se réunirent peu après qu’on l’eut écrasée pour parler de ses origines et discuter des mesures à prendre pour prévenir d’autres troubles. Pour commencer, la majorité préconisa des mesures draconiennes, y compris l’expulsion de tous les rônin de Edo, mais l’avis du rôjû Abe Tadaaki finit par l’emporter. Selon lui, il valait mieux ne pas utiliser la force contre le mouvement, mais s’occuper de réduire le nombre des rônin. C’est sur son conseil qu’on mit fin à la pratique des confiscations, et que le bakufu fit un effort pour trouver aux rônin des possibilités d’emplois convenables. Ishigaya Sadakiyo, commissaire municipal (machi-bugyô), qui avait arrêté Chûya, fut l’un de ceux qui s’attela à cette tâche. Il avait été blessé au combat au Kyüshü et comprenait les sentiments des vieux soldats. Il parvint à trouver de bonnes places pour plus de mille rônin au cours des vingt années suivantes, et d’autres vétérans suivirent son exemple.
Ce n’était pas grand-chose, mais le fait que le bakufu jugea bon de se montrer modéré prouve qu’il était prêt à abandonner une vision purement militaire au profit d’une administration civile plus forte. L’une des difficultés qu’il eut à surmonter résidait dans la répugnance qu’éprouvaient de nombreux samurai pour le travail de bureau. Le gouvernement central et local offrait des emplois nécessitant de savoir compter et écrire, mais rares étaient les rônin à avoir ces qualifications. Le célèbre lettré Arai Hakuseki (1657-1725) était lui-même rônin , et il occupa d’importantes fonctions officielles ; il prétendait que, parmi les samurai qu’il avait connus depuis son enfance, un sur dix à peine savait suffisamment bien écrire et calculer pour remplir un emploi même modeste dans le bureau d’un commissaire mineur, mais que, dans sa maturité, pratiquement tous les samurai, y compris de rang inférieur, avaient l’instruction nécessaire.
Peu après le complot raté de Yui Shôsetsu, un agent du bakufu découvrit une autre conspiration dans laquelle plusieurs centaines de rônin se trouvaient impliqués, et, la même année (1652), il y eut également certains troubles dans l’île de Sado. Mais ces événements n’avaient guère d’importance, car le problème des rônin était en train de se résoudre grâce au passage du temps de même qu’aux efforts du gouvernement. Les samurai qui s’étaient battus jeunes à Osaka, en 1615, avaient maintenant cinquante ou soixante ans. Ils avaient cédé la place à leurs fils qui, ayant l’avantage d’une certaine instruction, pouvaient trouver des postes dans les nombreux offices d’un gouvernement qui, dans sa constitution comme dans sa conception, devenait de plus en plus bureaucratique.
A la fin du siècle, les rônin étaient peu nombreux. La plupart de ceux qui restaient étaient des hommes qui, par tempérament, n’étaient pas faits pour un emploi régulier et une vie tranquille. Certains enseignaient l’escrime et l’art militaire, trouvant suffisamment d’élèves parmi les éléments perturbateurs de la société citadine ; d’autres étaient devenus de vrais fauteurs de troubles, vivant souvent à la limite du crime. Le mot rônin est fréquemment utilisé dans un sens péjoratif, mais il faut se rappeler que l’on n’apprend pas de la majorité bien pensante, mais des vagabonds et des mauvais sujets. Ils étaient peu
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