Histoire du Japon
céder à des formes de pressions autres que l’intransigeance des magnats provinciaux.
A cette fin, il convient de se faire une idée générale de la vie métropolitaine telle qu’elle évolua après le départ de Nara, car le fossé entre la capitale et la province, la cour et le peuple, ne cessa de se creuser à mesure que la société des aristocrates et des hauts fonctionnaires qui dominaient la capitale devenait plus raffinée et détachée des préoccupations communes. Ses intérêts tournaient essentiellement autour de questions de goût et de sentiment ; ses principaux modes d’expression se résumaient à l’étiquette, aux subtilités de comportement et aux élégances du style littéraire. En matière de littérature, l’époque connut une activité extraordinaire, et non seulement en publiar t le flot d’édits, d’ordres et de documents officiels dont nous avons déjà pané, mais en composant des ouvrages historiques et des recueils de poésie.
C’était une société artificielle, éloignée des dures réalités de la vie du commun des mortels, citadin ou campagnard ; mais dans l’ensemble, elle était pacifique, ennemie de la violence, et passionnée par tous les arts. Ce n’était pas une société intellectuelle, et elle n’avait guère d’intérêt pour la spéculation ; mais elle respectait le savoir, et elle était sensible à l’attrait du bouddhisme, surtout – sinon exclusivement – à travers son côté émotionnel et sensuel. Si les fidèles ne souffraient pas du désir insatiable de pénétrer les secrets de l’univers, ils connaissaient les paisibles plaisirs de la méditation.
En fait, le bouddhisme fut des siècles durant le véhicule de la culture continentale qui changea la vie japonaise, et aucune histoire du Japon ne mérite ce titre si elle néglige l’étude de l’influence bouddhique dans ses domaines les plus divers.
Le trait le plus frappant de la première période du nouveau régime est la transformation que subit le caractère du bouddhisme une fois libéré de l’influence des sectes de Nara. Ces sectes eurent une grande importance dans la vie intellectuelle du Japon, car ce fut à travers l’étude des penseurs indiens et chinois que les Japonais prirent conscience des problèmes philosophiques. Mais leur doctrine échappait à la compréhension du peuple, et leurs monastères ne tenaient guère de place dans la vie quotidienne. Lorsque leur vocation n’était pas d’enseigner, elles s’occupaient essentiellement de l’organisation et des biens de l’Église, ou d’accomplir les rites impressionnants qui se déroulaient lors des fêtes officielles. De façon générale, les rapports qu’elles entretenaient avec l’extérieur concernaient la cour et non une quelconque assemblée de fidèles. Il y avait certes des temples provinciaux, mais il n’y régnait pas moins un esprit officiel, si bien que, dans l’ensemble, ils n’avaient guère d’effet sur le campagnard ordinaire, qui persistait dans ses anciennes croyances.
Quoiqu’on eût construit une nouvelle capitale pour échapper à l’influence que l’Église exerçait à Nara, la cour n’était en aucune façon hostile au bouddhisme. Au contraire, elle le cultivait de bien des manières, les pratiques religieuses occupant une place importante non seulement dans les affaires gouvernementales mais aussi dans la vie, sinon spirituelle, du moins sociale, de l’aristocratie. Sauf au sens le plus strict du terme, le bouddhisme était devenu une religion d’État ; mais les sectes de Nara avaient accompli leur mission, et dans la nouvelle capitale régnait aussi un sentiment nouveau. On ressentait le besoin d’une forme de bouddhisme qui soit plus en accord avec le tempérament indigène, et ce besoin fut finalement comblé par deux chefs religieux tout à fait remarquables, Saichô (devenu après sa mort Dengyö Daishi) et Kûkai (devenu après sa mort Kôbô Daishi). Ils fondèrent deux sectes qui, bien qu’originaires de la Chine, prirent une fois transplantées un certain parfum japonais. A ce stade, l’histoire du bouddhisme japonais peut être racontée à travers leurs biographies.
Jeune homme, Saichô (767-822) avait étudié à Nara sous la direction de maîtres chinois, et, frappé par la décadence des principales communautés religieuses, il médita plus tard des plans de réforme. Sa réaction contre les règles rigides et conservatrices de son ordre (il
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