Iacobus
destin inconnu avec ce fils
imprévisible et la femme la plus surprenante du monde.
Après avoir traversé une plaine désolée et
interminable, nous franchissions Hornillos dotée d’un splendide hôpital de san
Lazaro puis après un passage rocheux, le village de Hontanas où nous devions
commencer à chercher un logis alors que le jour déclinait.
— Vous ne trouverez aucune auberge par ici,
nous dit un paysan qui menait son troupeau de cochons. Continuez tout droit
vers Castrojeriz, ce n’est pas si loin. Sûr que vous trouverez là. Mais si vous
voulez un conseil, ne suivez pas le Chemin. Cette nuit, les moines de San
Antonio reçoivent les lépreux et le Chemin passe juste devant la porte du
monastère. Il y en aura beaucoup en train de rôder autour.
— Il y a un couvent d’Antonins ici ?
dis-je d’un ton incrédule.
— Mais oui, monsieur, me répondit le
porcher, et nous le regrettons bien, nous qui vivons à côté, parce que, entre
les lépreux connus (les nôtres, je veux dire) et ceux qui font le pèlerinage à
Compostelle pour y chercher le pardon et le salut, toutes les semaines, comme
aujourd’hui, ces maudits scrofuleux du Feu de san Anton débarquent ici par
centaines.
Des Antonins ici ! Je n’en revenais pas.
Que faisaient-ils sur le chemin de l’apôtre ? Je me trouvai soudain dans
un grand état d’excitation. Mais je devais me reprendre et réfléchir froidement
sans me laisser entraîner par la surprise. D’ailleurs pourquoi étais-je si
étonné de trouver les moines du Tau sur ce chemin étrangement plein de
Taus ? C’est que jusqu’à maintenant le Tau Aureus, le signe de
l’or, était apparu dans l’image de santa Orosia à Jaca, sur le mur de la tombe
de santa Oria à San Millan del Suso et sur le chapiteau de San Juan de Ortega,
indiquant toujours avec exactitude la présence de trésors Templiers cachés...
Cette fois, il se présentait sous un aspect déconcertant : un couvent
d’Antonins situé à mi-chemin entre Jaca et Compostelle.
Le porcher s’éloigna en frappant de son bâton
les flancs de ses cochons. Sara et Jonas me regardèrent d’un air déconcerté
tandis que je demeurais cloué au sol.
— On dirait que la présence de ces moines
vous a bouleversé, remarqua Sara en me dévisageant.
— Mettons-nous en marche, répliquai-je
sèchement.
Pas une seule fois depuis que nous avions trouvé
le message de Manrique de Mendoza je n’avais fait le lien entre le Tau et
l’ordre de saint Antoine. Il paraissait si éloigné de cette intrigue, et
néanmoins rien de plus logique que de l’y inclure. Ni riches ni puissants, les
Antonins partageaient avec les chevaliers du Temple les connaissances
fondamentales de la tradition hermétique. Ils avaient même été désignés, au dire
de certains, comme les héritiers directs des grands Mystères. C’étaient en
apparence les frères mineurs des puissants Templiers, ces cadets que toutes les
familles, à défaut de leur laisser un meilleur héritage, destinent à l’Église
et qui en son sein s’élèvent au-dessus des autres grâce à leur prudence, leur
intelligence, leur efficacité. L’ordre possédait cinq ou six congrégations
réparties entre la France, l’Angleterre et la Terre sainte. Cela expliquait ma
surprise en découvrant leur présence en Castille. Pour une étrange raison que
je ne pouvais encore comprendre, leur habit noir portait un grand
« T » cousu sur la poitrine.
J’essayais de me souvenir de tout ce que je
savais sur eux, cherchant un fait oublié qui pourrait les lier à ma mission,
quand Sara qui marchait à ma droite me demanda pourquoi ces moines semblaient
tant m’inquiéter. J’aurais préféré que cette curiosité vienne de Jonas, mais
celui-ci observait un mutisme obstiné. Je désirais toutefois qu’il écoute mes
paroles et devine, seul, ce que je ne pouvais lui expliquer en présence de
Sara.
— Les Antonins, commençai-je, sont un petit
ordre monastique dont l’origine est entourée de mystère. Tout ce que l’on sait,
c’est que neuf cavaliers du Dauphiné, neuf, vous m’entendez ? (Sara hocha
la tête pour que je continue et Jonas leva les yeux pour la première fois),
neuf cavaliers, donc, partirent il y a plus de deux cents ans vers Byzance à la
recherche du corps d’Antoine, l’anachorète égyptien canonisé sous le nom de
saint Antoine le Grand, appelé aussi san Anton, qui était entre les mains des
empereurs d’Orient depuis sa
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